Et tant d’autres nuits…


Corps moite dans la cabine, par le hublot l’horizon tangue, vite gagner l’air sur le pont, la nuit vaste, s’engouffrer dans la voute noire, se bercer d’étoiles.

Les nuits de Sirocco on s’allongeait sur le carrelage, on regagnait les draps humectés, on pouffait, chuchotait, s’esclaffait jusqu’à ce que le sommeil nous cueille malgré l’excitation, la joie.

Tout là-haut l’énorme cheminée du paquebot, transats, couvertures, les embruns collent au visage, aux cheveux, musique grave des turbines, bouillonnements d’écume, conversations, plainte ensommeillée d’un bébé que sa mère calme d’une chanson.

La fatigue taraude la nuit dedans comme dehors, les draps humides ne font pas oublier les tourbillons de neige dans les phares, ils gardent leurs vêtements, se serrent en vain, ne dormiront pas.

Les roulements de galets dans le puissant ressac, respiration assourdissante de la mer, épouser le rythme des vagues pour apprivoiser le sommeil.

Blancs les murs autour du patio, violettes les cascades de bougainvilliers, outremer l’horizon, lit sur la terrasse ouverte vers l’Etna, nos corps en jouissance.

Touguetoung, touguetoung, touguetong, l’enfance de l’avenue de la Gare, les lourds trains de marchandises, les rapides des voyageurs, mon rêve de départ, de voyage au bout du monde.

Refuge tant désiré, grincements des bois de lit, ronflements des voisins, odeurs mêlées de feu de cheminée éteint, soupe à l’oignon, chaussettes mouillées, ta nuque raide, tes reins douloureux, marcher encore demain.

Nuits solidaires du dortoir des filles, les anneaux des rideaux glissent sur les tringles métalliques, rires, rappel à l’ordre, chuchotements, j’te raconte tu m’racontes non c’est pas vrai mais si, les biscuits, les tubes de lait Nestlé, les mises en pli, il faut dormir mesdemoiselles.

Ça sent l’antiseptique, le légume froid, la lumière des chiffres et les couleurs des tracés sur l’écran du monitoring marquent encore les signes de vie, moi visiteuse aux yeux brûlants, sa main sans cesse caressée, Ne fermez pas la porte, supplie ma mère.










A propos de Mireille Piris

Toujours un lien avec l’écriture dans ma vie de comédienne, chanteuse, animatrice culturelle, psychodramatiste, formatrice conseil. L’art reste le fil conducteur dans la vie d’après qui alterne écriture peinture photographie. Comme dans un recueil de nouvelles, Une étrange modernité, paru chez N & B, où il se mêle au destin de quelques cabossés de la vie. (Auparavant chez le même éditeur, Boulevard des orangers, évocation de l’Algérie dans l’enfance et l’adolescence) Particulièrement sensible au dernier atelier Prendre. Toujours en chantier parallèle des nouvelles et un roman… Peur de la dispersion mais curieuse…

5 commentaires à propos de “Et tant d’autres nuits…”

  1. Voyage léger, embarqué…rêve de voyage et dernier voyage! Poignante la fin.

    • Merci Michael, il est vrai que c’est pas mal de refaire les gammes… travail à l’épure.
      Emue moi aussi pour la fin à ce souvenir. Comme les enfants qui veulent la lumière, la peur de s’endormir…
      J’ai pour l’instant peu lu, chantier(s) en cours, mais ne désespère pas!
      PS: viens de voir que vous en connaissiez un rayon en Méditerranée!!!

  2. Bonjour Mireille,

    les chambres une et dix en écho, entre les deux un tour de vie, j’aime qu’on y soit d’emblée au coeur de la nuit,
    bonne suite,
    Catherine S

    • Il est vrai, Catherine, que j’ai pris les premières idées venues, et qu’i s’agissait de nuits. Pourtant les siestes…
      Chez toi-vous quelles photo, litanie, vie(s), vie tellement que souvent en-vie d’y être!