#été 2023 #13 | Plages cardinales

De quelques plages cardinales :

  • Rive droite — On rentre. Mais le bouchon dès le pont de pierre aux belles arches roses, leurs médaillons blancs, les grands réverbères à trois ou quatre lanternes, les pavés à faire trembler la Fiat, quand ça roule, quand il n’y a pas de bouchon, quand on ne met pas une heure à contourner la place de l’autre côté en écoutant Sauvagine ou je-ne-sais-quoi dans le lecteur, et c’est comment son nom déjà ? la place qui est un grand rond-point, la place qui était une gare routière, un arrête de tram maintenant, la place au lion bleu ciel à facettes, et les travaux pour l’aménagement qui l’ont rendue impossible, même à contourner, à se perdre dans les petites rues de la Bastide plus au sud, jamais vers le nord, jamais de l’autre côté, vers la gare d’Orléans, une des plus vieilles gares de France à l’abandon, les ouvertures bouchées, taguées, fracturées, jamais là sauf une fois après la transformation en cinéma pour aller voir Impitoyable, et aujourd’hui des films en 4-D où les siègent tremblent, mais de l’autre côté, à contourner la place au lion, les fausses échoppes, les vieux pavillons, la cité d’immeubles et sa dalle de verdure en friche, à retomber sur la petite gare du quartier entre le boulevard autoroutier et la ligne de chemin de fer, la gare de Benauge, détruite pour une halte ferroviaire, des zones plus ou moins en chantier, en blocs béton, lignes jaunes, déviations, à repiquer sur la grande avenue Thiers, la grande avenue dans l’axe du pont de pierre, après la place au lion, mille et un feux, tous au vert à cinquante à l’heure le dimanche soir, l’avenue en deux trois minutes, plus d’une heure le vendredi après-midi, l’avenue jusqu’à la bute, jusqu’à la Butinière, la vue sur la ville, le fleuve quelque part, le pont d’Aquitaine au fond et les quais, quelques grues dessous, des entrepôts, des zones de stockage de gros et petit matériel, de matériaux en tous genres, de conteneurs vides, des camions et des remorques sur le bord de la route et les grands réservoirs blancs de la raffinerie d’Ambès — mais on est loin déjà, plus au nord en direction du bec (on dévie), à Bassens —, et puis deux lacets et une passerelle entre le bois et les blocs béton pour un carton, un bouchon monstre.

  • Mériadeck — C’est juste derrière chez ME. À droite en sortant, et encore à droite. Tout droit jusqu’au cours, au coin de la caserne des pompiers. C’est là, de l’autre côté. Tout un quartier immeuble. Le centre de la Poste d’un côté, la patinoire et la grande bibliothèque de l’autre, et des tours, des bureaux, hôtels, banques, assurances, le centre commercial, parkings souterrains et parking sur le toit, trois niveaux de galeries marchandes, le supermarché, les boutiques, tapis roulants, escalators, du monde, les lumières, l’espace détente au troisième, pause-café, séance de massage, odeurs d’encens et bruits de fontaine, des bips, la musique, les caddies pleins, les sacs d’achats plein les mains, le sac à main ou la sacoche en bandoulière, main dans la main, la porte automatique, la main tendue en sortant, l’œil baissé, un carton pour deux mots, l’écuelle, un sachet de sandwich fripé au pied d’une poubelle qui déborde de bouteilles en plastique, des flaques sur les marches de l’escalier, la passerelle au-dessus de la route, les véhicules à l’arrêt, les klaxons, le jingle du tram qui repart en soufflant, l’esplanade, un parc de terre et de sable, couvert de neige pour une fois et il fait aussi froid que dans le nord, un bois aussi, où l’on vient sortir deux chiens qui se courent après en dessinant des lignes à points, quelques massifs et un bassin vide, un fond d’eau gelé, pour une immense dalle de plaques de béton, descellées, bancales, le dédale de passerelles entre les tours, au-dessus des routes, des voitures, du tram, du semi-remorque noir qu’on décharge pour le concert, et c’est comme marcher dans la ville en suspension, les mains au fond des poches, entre le jardin du musée des Beaux-arts et le grand cimetière de la Chartreuse, un quartier en lui-même. Je ne suis jamais entré voir. Il faudrait un jour, l’été. Au moins pour la statue de la Faucheuse et la tombe de Goya.

  • L’université — Droit devant. Enfin presque, en face c’est un mur. Un pan de mur écru, gris, entre une fenêtre à volet roulant et une porte en massive en bois bleu marine. Un petit balcon et des persiennes juste au-dessus, au seul étage. De chez ME, plus en hauteur, on aurait peut-être pu voir tout ce qui se passait à l’intérieur s’il y avait eu une fenêtre au lieu d’un vasistas dans le toit. On ne voyait que le ciel et ses aléas, le soleil dur vers midi. L’université c’était par là. Et tout un labyrinthe de rues, de cours, d’avenues, les boulevards à traverser, d’un côté ou de l’autre, ça dépendait si on allait en Sciences ou en Lettres. Ou si on entrait par-devant ou par-derrière. Les rues à sens unique, les files de voitures stationnées, une supérette et un café perdus, kebabs et pizzas à emporter au niveau des barrières, avec rangée de scooters. La grande surface qui dégage la vue, à deux de ma première chambre. Le rond-point de centre historique pour distribuer la petite église et son clocher plat, la station-service où j’allais pour le plein et la pression, fermée, détruite pour un cinéma, une place et une voie piétonne pour des petits commerces, un centre d’art et la librairie Georges pour les œuvres au programme, sa façade de métal brillante ajourée d’étoiles. Les Sciences c’est à deux pas, un arrêt plus loin, par la grande porte en fer forgé, le parc et la mare pour une histoire de ragondin, la chaussée grise devant les petits bâtiments blancs des écoles, des labos, des instituts, au milieu des grands marrons, de part et d’autre du parking à ciel ouvert, de longs parallélépipèdes rectangles, façade en damier de stores blancs ouverts, fermés, ou à moitié, protégée par une immense paroi de verre pour un soleil cinglant l’été. Sinon, depuis l’église, la petite route qui monte et sinue le long d’un vieux mur alvéolé de moellons, décrépi ici ou là, parfois envahi par le lierre, souvent couvert de lichens et de mousses. On arrive par derrière, au petit rond-point, en massif de pierres plates, un genévrier rampant, un bloc de bambous et un saule pleureur squelettique l’hiver. Ou alors l’autre voie, direction les Lettres, à travers un grand domaine de vignes, les bâtiments des Sciences au loin, la voie ferrée et la petite gare désaffectée de la Médoquine au détour d’un pont, des tags, des graphes, des lettres stylisées hautes en couleur sur les piliers, les quais, les murs, regagnés par la nature.

  • La plage — Cap à l’ouest — avec la petite AX rouge de ME, au capot mat, délavé, rêche —, par une des deux longues rues parallèles à sens unique, devant ou derrière, qui filent d’un trait sur les boulevards, sur le stade de l’autre côté — encore appelé Parc Lescure, les rues engorgées de véhicules les jours de match, et les files de piétons qui redescendent en masse dans le centre, en criant et chantant à tue-tête la victoire de fous, circulation à l’arrêt, jusque sur le toit des bus, à danser —, sur le complexe hospitalier du tripode — le grand hôpital où il a préparé des plateaux-repas à la chaîne, dans les sous-sols, nettoyé la vaisselle dans une grosse machine tout inox des Temps Modernes régulièrement bloquée, traîné les grands bacs de poubelle dans les couloirs et bonjour l’hygiène, ouvert de grosses boîtes de conserve de légumes et de viandes, seul dans un local vitré, affublé d’une blouse, de gants en latex, d’une charlotte jetable, de surchaussures, mais pas de masque, c’était au moment où s’en était fini de Noir Désir | il a aussi donné son sang là, dans le petit bloc du centre de transfusion à l’entrée du complexe, des plaquettes, du plasma, un cathéter dans chaque bras le temps de regarder un film | il a effectué une série d’examens pour la vue, un soupçon de kératocône, C’est quoi ? — C’est quand la cornée s’écoule comme une goutte d’eau | il a rendu visite à un oncle, brûlé au bras et au dos, et une amie, le cou dans une structure de tiges métalliques | et il reviendra pour la scintigraphie du petit, une injection de produit préalable pour lire le rayonnement dans le corps —, et puis remonter vers l’aéroport, le contourner par la grande zone commerciale dite du Soleil — et pas question de s’arrêter à la bouquinerie au carrefour, ouverte même le dimanche, même pas au retour —, passer la rocade, traverser de la ville dans des bois, dans de la ville, dans des pins, de gauche à droite en feux et sens giratoires — non loin du collège où quelque temps après il allait faire une première expérience d’enseignement du français, le collège Zola, deux classes de troisième, dont une avec les jeunes du centre de formation sportif, parfois venus de loin —, et droit devant, à travers la forêt, des zones en friche. On finit dans la dune sous le soleil, un cri de goéland malgré le vent, les pieds nus et c’est frais.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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