#été2023 #09bis | par la mer

C’était en mai, on avait décidé de revenir par la mer, à la recherche de sensations presque oubliées, de l’odeur de l’île, de cette douceur du matin juste avant qu’elle ne se transforme en chaleur. La satisfaction de découvrir notre cabine à l’avant du navire, son hublot immense, le pont extérieur à deux pas, les draps impeccablement lisses du lit à deux places. Les adultes boivent des cocktails près des baies pendant que les gamins s’excitent devant les machines à pinces, rien n’a changé, si ce n’est mon impatience, plus vive que dans l’enfance. Je n’ai pas mis de réveil, je ne dormirais pas, ou mal, comme toujours agacée par le voyage, empressée de voir surgir les côtes au loin. Le jour se lève, les hauts parleurs diffusent un chant corse, je m’habille, j’attrape le Canon et me précipite au dehors. Le ciel est couvert, l’air chargé d’une pluie fine et bleue, qui noie les côtes dans un même bleu.Tout est flou, à distance, même les odeurs, la pluie étouffe le parfum du maquis. Je tente en vain de reconnaître des villages, des vallées, la maison d’Erbalunga. Je filme, sans prendre garde à la mise au point, au cadre. Je filme, impulsive, brouillonne. J’ai froid, j’hésite à retourner à la cabine pour mettre ma veste de pluie. Je suis de toute façon désappointée, je peux bien louper un kilomètre de côtes. J’annonce à Philippe que nous arrivons bientôt, on ferme nos sacs, on rejoint le pont, des odeurs de café envahissent les couloirs du navire. Au dessus de la Citadelle, le ciel s’est un peu éclairci, mais rien de la lumière dont j’avais gardé souvenir, ni de ces aurores flamboyantes de juin observées depuis la terrasse d’Erbalunga. Je filme la ville, jalouse l’émerveillement de ceux qui arrivent ici pour la première fois, j’écoute un local conseiller des touristes qui le questionnent, ils feront comme tout le monde, ne traineront pas longtemps à Bastia, fileront vers le sud. Un peu plus tard sur la place Saint-Nicolas je regarde mes images sur l’écran LCD, et je les oublie. Cet été mon cousin m’envoie un film de son père qu’il a fait numériser par un professionnel. C’est un départ en vacances, tourné en 8mm durant l’été 65. La famille quitte le continent pour la Corse depuis Marseille. Mon oncle Jean commente le film joyeusement, forçant l’accent du midi. Il a ce phrasé typique de l’époque, et il y a cette lumière éblouissante qui m’a manqué au mois de mai.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

Un commentaire à propos de “#été2023 #09bis | par la mer”

  1. c’est beau ces deux films en vis-à-vis, miroir, en parallèles aussi (et la voix de l’oncle qui change à la fin, plus sérieuse, moins « monsieur loyal », à cause de la lumière sûrement, de la gravité de la lumière)