#été2023 #05 | il n’est plus là

La dernière fois que Rose a aperçu le petit facteur comme elle le nomme, c’était il y a quinze jours. Il semblait plutôt distrait, un brin préoccupé. Par exemple il n’a fait aucun commentaire sur sa tenue, ni sur le temps, ce qui d’habitude était sa manière de l’aborder. Peut-être était–il déjà malade. Car, bien sûr, il doit être malade pour ne pas être là, fidèle à son rendez-vous quotidien. Son remplaçant était bien gentil mais il n’était pas bavard et ne s’inquiétait en rien du devenir du petit facteur.  Rose aimait bien le petit facteur. Il savait qu’elle attendait des nouvelles de son fils. Il savait ses inquiétudes et quand il y avait une lettre, il montait exprès pour leur apporter. Il avait la discrétion de ne pas attendre qu’elle l’ouvre. C’était toujours elle qui l’ouvrait. Depuis quelque temps elle attendait une lettre qui ne venait pas. Elle patientait devant la boite aux lettres jusqu’à ce que le petit facteur arrive. Face à son air déconfit il prenait le temps de l’écouter parler de son fils grand reporter de guerre. Puis elle remontait cacher son chagrin. Mais depuis quinze jours il n’était plus là.

Devant les boites aux lettres du 7 rue Alice Guy

Madame du n° 2 :

— Bonjour !

Le facteur :

— Bonjour ! quel numéro ?

— Numéro 2. J’attends un colis.

— Pas de colis aujourd’hui

— Vous remplacez Frank ? Vous savez ce qu’il lui est arrivé ?

— Je ne sais pas, on m’a demandé de faire cette tournée jusqu’à nouvel ordre. Alors je fais cette tournée… jusqu’à nouvel ordre

— On ne verra plus Frank ?

— Je suppose que vous appelez Frank monsieur Falhaud …

— Oui bien sûr ! Qui d’autre ? Je le connais depuis l’école primaire… alors il m’est difficile de l’appeler autrement que par son prénom. Vous avez de ses nouvelles ? Je suis inquiète.

— Non ! Mais si vous voulez je peux essayer de me renseigner…

— Ça serait gentil à vous… C’était un garçon particulier… à l’école, je veux dire

— … ?

— Oui, il était toujours à l’écart. Seul en cour de récréation, seul en classe, il semblait toujours tombé des nues quand on lui parlait… en même temps il était attachant… peut-être parce qu’il avait une tête d’angelot avec ses boucles blondes et j’ai toujours été attirée par les paumés…

— Votre colis… c’est urgent ?

— Non pas vraiment. Mais vraiment si vous pouvez me donner des nouvelles de Frank ça soulagerait mon inquiétude…

— Oui, oui, je vais essayer.

Prologue du journal de Mr Falhaud

Ceci est un journal qui est écrit pour être lu.

Je m’appelle Franck Falhaud, Franky pour les intimes, né dans une commune de taille moyenne, en France, dont je tairai le nom pour ne pas heurter les habitants concernés par mes écrits. Je suis né de parents aisés, mon père était médecin spécialisé, ma mère administratrice de spectacle au sein du département. J’ai toujours vécu dans cette ville. Elevé essentiellement par des femmes employées en tant que femmes-de-ménage et qui changeaient souvent. Des parents peu disponibles et peu intéressés par la vie de famille. Souvent absents. Tantôt l’un, tantôt l’autre. Si je dois vous donner une idée un peu plus précise de qui je suis, je dirais que je ne suis pas un individu brillant. Plutôt terne, passe-muraille, de tempérament contemplatif et introverti, n’ayant pas un grand appétit de vivre. Je ne me rappelle aucune passion. J’ai longtemps vécu comme un automate bien huilé, sans grincer ni rechigner. Elève consciencieux… ne pas faire de vagues, ne pas se faire remarquer, rester dans le confort de la moyenne, la plupart du temps solitaire.  J’ai souhaité très rapidement travailler. Il n’y avait de la part de mes parents aucune attente et j’ai donc pu quitter l’école vers seize ans.  J’ai essentiellement grossi devant la télé pendant un an. Et je me suis retrouvé orphelin à l’âge de dix-huit ans. Accident de voiture mortel. J’ai donc dû bouger. Quelqu’un m’a conseillé de postuler aux PTT et depuis je suis facteur, dans cette même commune, depuis vingt ans. Je vis seul et ne m’en plains pas. Mes parents m’ont laissé un héritage conséquent qui me permettrait un autre style de vie, plus tourné vers les autres, vers la fête, vers les voyages. Mais j’ai choisi de continuer comme ça par manque d’imagination.  J’ai lentement nourri un projet. Un projet de longue haleine. Un projet d’écriture. Moi, le porteur de lettres, je vais écrire. Je vais sortir de l’ombre un tas d’inconnus. Moi seul connaitrai leur véritable nom, n’ayez crainte ! Mais sachez qu’ils ont réellement existé et que je m’appuierai sur toutes les lettres qu’ils ont reçues depuis des années pour étayer leur fiction. Imaginez ce qu’il se passe depuis vingt, trente, cinquante ans dans une seule boite aux lettres. Combien d’indices déposés quotidiennement ? Combien de récits perdus ? Et ceci pour chacune des boites aux lettres que j’alimente depuis vingt ans. Je suis devant une source inépuisable de biographies, récits, nouvelles, romans…

Le fils dans la famille du 1 rue George Sand

Quand je serai grand, je serai facteur, comme Monsieur Falhaud. Il a de la chance, il fait du vélo tous les jours… sauf le dimanche mais moi j’en ferai aussi le dimanche. Et puis il voit plein de gens mais pas trop longtemps à chaque fois… moi, ça, ça m’irait parce que j’aime bien les gens mais je sais pas quoi leur dire et quand Mr Falhaud il vient c’est les gens qui lui parlent, lui, il a presque rien à dire…

Et puis il a une veste pleine de poches et des fois il met une casquette rigolote. Il a le look ! il me dit toujours bonjour petit, tout ça parce qu’il a une tête de plus que moi… c’est ma mère qui me l’a fait remarquer… Mais ce matin c’est pas lui qui est venu. J’ai demandé à l’autre pourquoi Mr Falhaud l’était pas là, et il savait même pas. Ma mère elle en était toute triste.

Extrait de la gazette du quartier Z

Emoi dans le quartier Z. Le facteur, Mr Falhaud, facteur depuis plus de vingt ans dans le quartier, ne fait plus sa tournée depuis une quinzaine de jours sans que l’on sache pourquoi. Les habitants rassemblés autour des boites aux lettres ont demandé à plusieurs reprises à son remplaçant la raison de cette absence sans jamais avoir eu de réponse. Un appel est donc lancé sur la gazette afin que toute information à ce sujet puisse être partagée par tous. Merci de déposer votre témoignage à l’adresse :

La gazette du quartier Z.

150 bd Simone de Beauvoir

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.

2 commentaires à propos de “#été2023 #05 | il n’est plus là”

  1. J’ai beaucoup aimé cette façon d’aborder la proposition 5 qui m’a donné l’envie de remonter le fil de cette histoire, une belle histoire que je vais suivre, un personnage très réussi ce facteur.

    • Merci Isabelle de votre passage dans mes écrits. J’espère que je ne vais pas trop me et vous perdre dans le labyrinthe de la tournée de Mr Falhaud… et dès mon retour de vacances j’irai moi aussi lire vos textes… à bientôt