Fenêtre sur cour

Fenêtre sur cour. Un homme regarde et attend. Je regarde cet homme. J’attends ce qu’il attend. La cour, c’est le monde vu par Hitchcock.

La fenêtre donne sur la cour du pensionnat. Un magnolia, fleurs-nénuphars. Une statue de la Vierge à l’enfant. Chez nous, Soyez Reine, nous sommes à vous. Petit monde étriqué de l’enfance. Celle de la classe de 6ème devrait plonger sur le boulevard Longchamp. Non, la fenêtre a été passée au blanc d’Espagne. Seuls les carreaux les plus hauts permettent de voir le ciel bleu, un arbre qui danse avec le mistral, parfois des mouettes. Enfermement. Fenêtre-ennui. Le nez contre la vitre, écrasé. Un halo de buée dessiné par la bouche enfantine. Je boude, je ne répondrai pas. Je me tais, vous n’existez plus. Ma chambre est mon repaire. Sa fenêtre donne sur un mur aveugle, blanc aveuglant de trop de lumière. Elle éclaire mon bureau d’écolière, j’en suis fière, un tiroir se ferme à clé. J’y dépose mes secrets. La clé, je la cache dans ma trousse, vous ne la trouverez pas. J’aime jouer avec l’interdit, baisser la fenêtre dans le couloir du train, é pericoloso sporgersi, cheveux ébouriffés, poussières dans les yeux, vilaine petite. Ma grand-mère, elle, m’appelle : ma petite douce. Chaque matin elle ouvre tout grand les fenêtres. Fenêtres bordées de géraniums rouges, envahies par les rosiers grimpants. Marseille se montre à moi dans la blancheur de ses maisons, dans le rose de ses toits. Au loin, la bonne Mère protège la ville, le port, les marins. Un jour, je le sais, je partirai vers les rivages de l’autre côté de la Méditerranée. En attendant, fièrement j’aide mon grand-père à ranger les fenêtres-vitrines de sa bijouterie. Des montres Lip, des colliers de perles, plus ou moins vraies, des chapelets d’ivoire, des aumônières d’argent tressé. Reine en mon royaume. En détresse dans la cabane au fond du jardin de mon grand-oncle, juste un filet de lumière dispensé par le fenestron-fenestrou, juste assez pour ne pas glisser, pour m’installer sur le trône, au-dessus du trou béant. Pisser vite. Faire attention. Quand je suis seule à la maison, je dois regarder par le vasistas lorsqu’on toque à la porte. A hauteur des yeux, il me permet d’espincher celui-celle qui s’impatiente. J’adore décider qui pourra entrer dans la maison ou pas. Je suis sur mes gardes, une vraie stratège. Stratège, je l’ai été lors de mon premier vol en avion, je me suis blottie dans le siège près du hublot, j‘ai volé au dessus des nuages, toujours plus vers l’ouest, accompagnée par le soleil dix heures durant, deviné parfois des terres, des eaux. J’ai rêvé. Ailleurs, où ?

Fenêtres-fermeture. Fenêtres de l’hôtel Ibis fermées cadenassées pour éloigner le vacarme du boulevard. Triples fenêtres inamovibles. Le bruit insidieux me pénètre. Des pétarades de motos. Des cris. Désir de fuir la ville. Fenêtre de l’hôpital, bloquée, juste un filet d’air, les patients pourraient se défenestrer, attention, sécurité. Fenêtre-solitude, celle de Hopper : une jeune femme assise sur un simple lit regarde par la fenêtre. Immobile, en attente. L’immense fenêtre un personnage à part entière dans le tableau, une ouverture sur la vie extérieure qui lui échappe. Fenêtre-miroir, c’est mon visage que je devine sur fond de branchages, je l’efface. Fenêtre-attente. Il ne viendra pas, il ne viendra plus. De la fenêtre, sauter dans le vide.

Fenêtre du chalet ouverte sur la vallée bleutée. Cette maison est mon havre de paix. Chaque matin je m’émerveille face au Pelvoux et au glacier des Violettes qui s’auréolent de rose. Souvenir de leur traversée, souvenir, tu me tiens dans tes filets. Fenêtre ouverte sur l’océan Pacifique : celui-là ne mérite pas son nom. Océan Enragé. Vagues folles, échevelées, ressac furieux battant les rochers. En moi encore, le sifflement du vent. Sous les toits, une fenêtre, son rebord où roucoulent les pigeons, la chambre, un nid d’amoureux. Lucarne du grenier dans la vieille maison campagnarde. Des ballots emplis de fleurs de tilleul y sèchent. Parfum doux, léger, subtil, sucré, celui du miel. Fenêtre ouverte sur la rue les soirs d’été-canicule. Je ne peux m’empêcher de jeter un regard indiscret vers le dedans qui m’est offert. Parfois, une surprise, le sourire d’une enfant l’autre nuit, elle agitait sa petite main vers moi. Et ma réponse réjouie.

Fenêtres-lumière. Fenêtres-vitraux dans les Hautes-Alpes, à Savines-le-Lac, tout près de chez moi. En l’église Saint-Florent, vitraux en dalles de verre, réalisés par le maître verrier Thomas. Chemin de croix dans la nef, la Création dans la chapelle d’hiver. Le soleil joue avec leurs neuf cent nuances, reflets au plafond, luminosité de la nef. Modernité dans la continuité. Paroi vitrée de la cité Radieuse. La mer au loin, la rade. Cette joie toujours présente d’avoir été quelques années hébergée par Le Corbusier ! La fenêtre vert vif de la chambre de Van Gogh, entrebâillée, on ne voit pas grand chose du dehors et pourtant une lumière éblouissante baigne la pièce. Fenêtre offerte par Matisse, celle de sa chambre à Collioure, un petit balcon, trois plantes et le port, quelques bateaux qui dansent sur l’eau, des vagues pour le ciel. La lumière vibre.

Alors, là, je pense à toutes ces photos que j’ai prises des toits de Paris et de leurs lucarnes, à gogo, jacobine, capucine, cintrée, rentrante, pignon… Superbe, cet œil-de-bœuf en zinc façonné. J’aime à la folie les toits de Paris. Sous le ciel de Paris, s’envole une chanson, chante Juliette Greco. Chien-assis, cette dénomination m’enchante. Un chien-assis sur la pente du toit ? Un chien-couché également, ça existe !

Fenêtres, je vous aime grand ouvertes sur la vie, sur le visible, l’invisible, le tout proche, le lointain, l’inaccessible, le mystère. De l’air, de l’air, le monde vient à ma rencontre.

Avec Rimbaud, je tends des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile… et je danse.

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