la vie carton-pâte.

imagine si c’était la ville ça serait peut-être une avec le fleuve noir et large, ses quais de travail ou promenade, encombrés de péniches gravides (leurs vélos – leurs  vertiges profus de plantes vertes, façon jungle – les grosses lettres du nom sur la croupe arrondie – l’arrosoir métallique) – les ponts et leurs sirènes juchées sur les piles – chevelures-ondes vert de gris figées sous les volutes de fer forgé et les croisillons de métal rouillé – accoudé au parapet les passants cherchent à prendre en pleine face le souffle et les braises de l’eau (aussi l’été des jeunes sautent pour éteindre le trop du chaud – surtout fabriquer de l’exploit – se lancer le défi – railler celui qui flanche – … si chui pas un mec pour de vrai ! – se jeter – agiter jambes et bras comme courir dans l’air – brailler en tombant – des jeunes venus, c’est écrit, du quartier bord de gare – connu pour les mauvaises raisons  – un qui mourra dans les petites phrases du journal du matin, café-croissant sur la petite table ronde à la terrasse) – dans la nuit de la ville on voit peut-être les flocons bleus du gyrophare sur les murs, la sirène s’entend de loin en loin, comme une suture, étouffée sous le tunnel puis resurgie stridente entre les façades avec la faux de l’éclat clignotant – comme dans l’aperçu des boîtes de nuit avec la plaque en cuivre club privé tenue correcte exigée – quand la porte à lucarne grillagée s’entrouvre sur les brisures et les butoirs de musique, les silhouettes devinées plus loin, une petite meute de nuit coagulée dans les vibrations qui cognent, les têtes ondoyant comme une houle – (imagine pour le repos les bourgeons phosphorescents loin sur la mer – être sorti de la ville avoir écrit : si tu voyais l’ici c’est une autre vie presque – le phare masse par rayons lents et rotatifs le repu des nuages lourds – le sable délicat et frais efface ses minuscules sous tes pieds) – imagine les éclats blancs des phares lorsqu’ils croisent – éblouissent font plisser les yeux – ou bien désarmés se noient dans les lumières de l’avenue – imagine marcher là-dedans avec l’inquiétude des pas – la fatigue de rentrer d’une fin de nuit – ou celle d’aller à la rencontre d’un début de matin quand tout dort encore et qu’on dirait aussi bien, selon l’humeur, selon les gens, la nuit m’appartient ou bien la nuit me ballotte sur ses côtés comme les ordures diverses : branches bouteilles et bidons plastique, enchevêtrées quelque part dans le noir de l’eau – (battent doucement contre le quai quand la péniche est partie, comme un cœur mesure encore autant qu’il peut, ralentit s’amenuise va s’arrêter.) Imagine les soupirs dans les lits, derrière les fenêtres les premiers remous du réveil, les dernières images mâchées du rêve. Imagine le réveil des douleurs, les frémissements du jour qui va bientôt lever comme la pâte du pain dans le four et l’odeur jaune-écœurement des croissants industriels, imagine la cohue-plongée d’escalator tomber dans la gueule du métro – imagine pour chaque nuque chaque dos tous les départs toutes les arrivées et comment on voyage hardi sur ses pieds, sac au dos et tête haute, ou bien courbé mains dans le dos, endormi front contre le hublot, de profil derrière la vitre du tramway, assis sur le minable siège rabattable, songeur dans le taxi, allongé sur la banquette de train, sanglé sur la barque de métal, étouffant sous les couvertures ou silhouette de froid. Imagine la traversée des jours et des nuits imagine avancer dans toutes les villes marcher dans toutes leurs rues longer leurs liquides avaler leurs odeurs étreindre leurs cris. Imagine la vie nous existe comme des bouts de son décor – une foule infinie de figurines carton-pâte – se croisent s’étonnent s’ignorent se racontent s’attachent se laissent regrettent puis oubliant repartent poursuivent se recommencent.

2 commentaires à propos de “la vie carton-pâte.”

  1. Un rythme marin. C’est étonnant quelque part, ça dit beaucoup, quelque part ça ne raconte rien. Quelque chose d’une temporalité dissoute. Un ronronnement de machine à laver, une machine à laver mélancolique. Ca sonne bien puis l’on se dit : où ça va ? Est-ce que du temps peut s’infiltrer ? Ou est-ce que cela va continuer de tourner, ou d’aller et revenir.