#L1 Suspension

Il avait beau chercher, il ne pouvait comprendre ce qui l’avait mené en ces parages. Quelques minutes encore auparavant, aussi sûr que le saut d’airain imprime à la cire la domination de son contour, il possédait une raison d’être, inscrite aux tréfonds de son âme. À présent qu’il venait de passer les murailles étincelantes de cuivre verré au parcours rotatif, à présent qu’il avait traversé les rideaux de velours aux contours ondulants d’une rigidité à peine plus nuancée pour autoriser le faufilement, à présent qu’il prenait place dans l’ombre d’une table de bois massif qu’il ne pouvait imaginer d’aucune autre facture que crût depuis le sol tant il se la figurait intransportable, à présent, plus rien ne le justifiait. Il était pourtant certain de s’être encourut en cet endroit avec le but avoué de la tournure précise qu’il devait offrir à son existence dans l’expectative d’un avenir spécifié sur les rails d’un parcours qui devait le mener au-delà de ses espérances acquise et sa raison d’être au monde, sans doute la conservait-il encore, qu’il pourrait explorer patiemment, s’en accorderait-il le temps. Il lui faudrait pour cela, anticipait-il, du sommeil et beaucoup de joie. Sa raison d’être là, cependant en ce lieu ci, venait de s’évaporer comme l’eau du sel sur les roches marines …

L’endroit se révélait à lui avec la fraicheur naïve de toutes les premières fois ; un détail qui ne survivait pas aux contours vaporeux qui encadraient la stabilité d’airain de sa conscience par acquis mémoriel mais s’imposait avec la certitude de l’évidence ravie à l’expérience de l’instant. Rétrospection : il pouvait reconnaitre l’équilibre précaire de telles circonstances parce qu’il s’agissait d’une rencontre éphémère à la signature infalsifiable. Seules les premières fois conjuguent de cette façon l’épaisseur de la surprise à la crainte de l’inconnu.

Les boiseries accueillantes réchauffaient le climat maussade du reflet rieur des éclairages tamisés. Les gens du pays, à l’image des provinces britanniques dont ils partagent les nuages, aiment habituellement équilibrer les ravages de la météo par l’entretien d’une jovialité légèrement forcée. Ici pourtant, il constatait avec soulagement le déploiement d’une plus modeste nuance d’appétit social dont il sentait sourdre les ramifications bénéfiques avec bonheur. Il en capitalisait avec avidité chaque fragrance en provision d’une raréfaction ultérieure. Sait-on jamais … Mais peut-être se trompait-il et pourrai savourer ceci à l’infini ? Incidemment, il parvenait presque à s’en persuader …Cela croissait dans les murmures enthousiastes qui ricochaient leurs caracoles contre les tables, les remarques espiègles, les brèves cascades de gaité spontanées, le ton rapide de la répartie enjouée, mais rien de trop. Quelque chose comme de la franchise enfantine murie par la tempérance de l’âge qui caracolait en vive rafales sonores sans se soucier de l’écume de la pluie qui trépignait d’ennui au dehors, sur le pavé et l’humidité ambiante séchait en un clin d’œil, transmutée dans l’épaisseur blonde qui peuplait le contenant des consommations.

Le désespoir d’une trahison amoureuse ? L’appel aux armes, ou l’engagement dans la marine marchande ? Le dépit de la stagnation professionnelle ? Non, décidément, il ne pouvait trancher … Il préférea laissa couler quelques centilitres supplémentaires de l’antique breuvage au fond d’un gosier assoupli par la détente physiologique de la chaleur liquide. L’amertume s’équilibrait agréablement à la tonalité terreuse de la préparation dont le contenant de terre cuite soulignait les nuances telluriques. S’y plonger intégralement pour frissonner d’extase à la recherche de la note exacte qui définissait le contour de ses paysages intérieurs … Des miroitements multiples aux reflets changeants, états subreptices qui s’évanouissaient sitôt entraperçus dans l’évidence d’une révélation bien vite oubliée. Lui-même ne célébrait pas le traditionnel danger que recouvre la gloire de l’alcool. En ce jour, il buvait du thé.

A propos de Clement Martin

Hop. J'en suis. Jeune enseignant très heureux de sauter le pas de l'action dans cet atelier de François Bon dont je scrute avec intérêt les vidéos et recommandations depuis un certain temps et qui sont devenues pour moi une source de motivation constante. Grand désir de plonger cet été sous les mots afin d'inonder mes habitudes d'un coup de pouce littéraire. Matériel d’écriture : table basse sur parquet clair qu'éclaire une fenêtre de toit en sous-pente, boite chinoise en porcelaine, tasse à thé en terre cuite régulièrement approvisionnée munie de sa bombilla en cours d'oxydation, ordinateur Lenovo à quinze pouces, lampe de papier, coussin de kapok (2), banquette de kapok, matelas de kapok, méridienne d’occasion, fauteuil de cuir brun, piles de livres dans de nombreux coins, tête farcie par les ambitions du jour.