#L6/ Semaine Kafka

Il ressasse. Il ne peut pas ne pas penser à elle. La fatigue mentale que ça représente, il l’ignore ou plutôt, en colère contre lui, il l’accepte. Il a d’abord voulu comprendre, trouver le moment faille. Cet instant où sa faillite à lui a commencé. Sa déroute. À rebours de tout ça, la quête du début de la fin. Il pensait avoir été bon jusque-là. Mais non. Faux, tout faux. Rien de bien original pour finir. La carrière prétexte. Tout ça ne compte plus, trop loin, trop tard Ensuite, avant d’être ici, il a essayé de la noyer dans l’alcool. Elle revenait de plus belle aux pensées. Et puis dans les cauchemars aussi. Parfois en rêve et toujours cette douleur de l’absente qui étripe au réveil. Boule noire à peser dedans. Les autres lui ont dit de se laisser le temps, que même Dieu allait aider aussi. Il sait leurs mensonges, il y a participé. Il a accepté le sevrage et leur promesse de tout mettre en œuvre pour l’aider à la revoir. Ils lui ont garanti que tout serait prêt, qu’il devait être patient et que oui, il la reverrait, qu’ils lui devaient bien ça, un peu comme un ultime remerciement pour ce qu’il a donné à la cause. Il le sait bien que tout est déjà terminé depuis longtemps. Il pense qu’il n’a plus rien à faire là. Mais il reste, juste pour retourner vers elle, une dernière fois, la dernière fois. Toujours seul. Ses hôtes ne lui parlent pas. C’est la règle. De toute façon il ne comprend pas leur langue. Un temps, il a parlé aux deux petits yeux luisants qui l’observaient depuis la nuit de sa cellule. Un soir, ils ne sont pas venus. La cloche rythme sa solitude. Il aide aux travaux des champs. Se donner de l’activité et participer à la vie de la communauté. Arracher, arroser, bêcher, biner, bûcher pour l’hiver, émonder, planter, sarcler aussi. L’effort de force n’interrompt pas le flux de ses pensées pour elle, mais il fatigue le corps, déverse la colère, absorbe la hargne. Se préserver pour revenir vers elle. D’elle il n’a rien pu conserver d’autre que ses souvenirs rongés. Son visage à elle comme dévoré par une tache sombre. Comme si, à trop penser à elle, il les usait ses souvenirs. Du coup, n’ose plus trop convoquer ses traits de peur de les effacer. Juste une forme flottante à tenir à distance dans le dedans. Parfois, après tout ce temps, il se demande aussi à quoi lui il ressemble. Pas de miroir ici. Il voit le corps vieillir noueux, la barbe blanchir. Comme il se les reproche ses instants de curiosité pour soi à le détourner d’elle ! Alors, il se prépare, repasse les détails de l’opération qui le ramènera vers elle. Les hôtes sont prévenus, qu’il ne s’inquiète pas, on viendra le chercher, on lui rendra son arme. Il attend depuis.

Toujours difficile d'écrire long. Alors, chaque soir qui a suivi la première version, reprendre. Plus l'impression de le creuser ce texte, pas certain de l'avoir fatiguer. Il faudra y revenir. 
Quand même des liens entre les îlots : les persos dont un poisson que je trimballe depuis le preaulogue. 
Ce L6 rédigé avant la préparation du pdf et une nouvelle dimension, une ampleur inédite qui s'ouvre, au delà de la simple attente de la proposition suivante. 

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

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