#L7 | carnet du 17 au 24 août

17 août 2021

  1. Mon frère me suggère des pistes à suivre : la musique, fil rouge tout au long de sa vie. Promesse faite par mon père Michel à son père de ne plus jouer (sic). Le film «  317e section » de Schöndörffer, 1965.

18 août 2021

  1. Échanges avec mon frère, qui me rafraichit la mémoire en me rappelant ses propres souvenirs de notre père Michel. Informations précieuses. En outre, je crois bien que nous n’avons jamais échangé ce type de souvenirs. Je lui rappelle la façon dont j’ai perçu ces silences ; mon frère écrit qu’il s’est senti, lui, «  à l’écart de la dette de transmettre un sens », contrairement à moi : est-ce une dette ? Peut-être bien. Mon père a fait «  l’expérience du vide » très jeune, en est revenu. Réfléchir aux différentes valeurs du silence. Je ne liste pas ici les différents souvenirs rappelés : ils figureront bientôt dans le manuscrit.
  2. Je poursuis la lecture de La guerre cruelle. J’apprends au passage le fonctionnement de certains dispositifs (quadrillage, ratissage, encerclement, etc.), ainsi que l’extrême difficulté à faire du renseignement (les habitants craignent parfois les rebelles, ou les soutiennent : ils se refusent à informer l’armée française. Les déclarations d’amour à la France sont parfois un masque qui cache un appui aux « rebelles ». Certains responsables algériens tiennent un double discours : défense de l’Algérie française face aux représentants politiques et militaires français ; financement des armes pour les indépendantistes, en sous-main.)

19 août 2021

  1. Achevé lecture de La guerre cruelle de Paul Bonnecarrère. Vraie plume, correspondant de guerre, ancien soldat, comme Jean Lartéguy (Les centurions). Texte fort. Brosse de nombreux aspects de la vie militaire, de la hiérarchie, des points de vue différents (extrêmement important, ces points de vue : du soldat du rang au général à l’administrateur en terre colonisée, des Arabes indépendantistes du F.L.N, etc.) Pas de langue de bois, mais désir de regarder l’horreur dans les yeux ; hypocrisie du commandement qui veut des résultats mais pas de torture : grande question qui agite les protagonistes.
  2. Reçu Après la guerre d’Hervé Le Corre, Où j’ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari, Services spéciaux – Algérie 1955-1957, du général Aussaresses, et le film d’Yves Courrière et Philippe Monnier, La guerre d’Algérie, 1er grand film documentaire sur ce conflit d’après l’historien Benjamin Stora.
  3. Message de Vincent B., sur l’idée du topos littéraire de la scène de combat depuis les récits épiques de L’Iliade jusqu’aux romans contemporains. Lieu commun, au sens technique, que j’ai voulu réutiliser : volonter de restituer, de m’approcher de ce que mon personnage (je l’appellerai ainsi) a vécu sans nul doute. Effet de réel donc, nourri de quelques souvenirs, de lectures, etc. Drôle d’impression, souvenir fulgurant d’Au cœur des ténèbres de J. Conrad.

21 août 2021

  1. Je récupère divers livres de Lartéguy un peu vite fourgués ailleurs. La prose de correspondant de guerre, pour fictionnalisée qu’elle soit, jouit à mes yeux d’une aura particulière, semblable à celle du ça a été de la photographie.
  2. Ai avancé hier sur le texte de l’arrivée du personnage, auquel j’ai ajouté deux planches d’écorchés : une planche anatomique italienne du XVIIe, un homme de face, et un écorché technique de l’une des armes utilisées par l’armée française, le MAT 49. Je les juxtapose pour un effet de contamination réciproque du sens, et de dissémination sur le reste du texte.

23 août 2021

  1. En désherbant ma bibliothèque, récemment enrichie (alourdie) des nombreux livres récupérés de la bibliothèque familiale, je redécouvre quelques textes de littérature militaire (comme ceux, jadis, que je trouvai sur l’étagère de mon grand-père maternel, Robert ; c’était les livres de poche J’ai lu à couverture bleue, aux titres efficaces : Coulez le Tirpitz, Stalingrad, etc.) Il s’agit de textes dont le thème est la guerre d’Indochine, d’Algérie : la série des romans de Jean Lartéguy (Les Centurions, Les Prétoriens, etc.), et de Bonnecarrère (Douze légionnaires). Aujourd’hui je tombe sur une biographie de l’amiral Dönitz, écrite par Peter Padfield. Je laisse ce livre, finalement, à l’association bénévole C’est pour vous où je participe régulièrement (en réorganisant…la bibliothèque). Je laisse aussi de très nombreux livres (dont une collection de grands prix littéraires) qui appartenaient à mon grand-père paternel Aristide. Le goût des livres est héréditaire dans les deux branches de la famille. Ces livres de littérature martiale ne sont pas, à mes yeux, anecdotiques. Ils me rappellent que trois générations ont connu la guerre : mon père en Algérie, mon grand-père en Allemagne, un arrière-grand-père en France, pendant la première guerre mondiale (recherches à mener). Héritage lourd, douloureux. L’étude de Raphaëlle Branche, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?, souligne ces bouleversements économiques, sociologiques, physiques, sur les pères et sur les proches. Comment mon père, âgé de 7 ans lors du retour de son père prisonnier en Allemagne, a-t-il perçu la chose ? Quel impact cela a-t-il eu sur lui, qui allait partir en Algérie ?
  2. Je poursuis la lecture de Services spéciaux, Algérie, 1955-1957 (texte publié en 2001) du général Aussaresses , bras droit du colonel Massu dans la guerre contre les « terroristes indépendantistes » à Alger. Ecriture froide, faits rapportés sans ambages, dans toute leur cruauté : scènes épouvantables de torture, exécutions sommaires. Ces pages me rappellent La guerre cruelle. Elles ont en commun d’avoir été écrites par des militaires de terrain, à qui l’on demandait, du bout des lèvres, de « pacifier », sans que personne en haut lieu ne veuille entendre de quoi il retournait : une guérilla sans merci, où l’extorsion de renseignements se faisait au prix de la torture.
  3. En contrepoint de ces horreurs, je lis La leçon de musique de Pascal Quignard. Ecriture admirable, qui évoque la vie de Marin Marais, mais au-delà, du rapport de l’homme (en tant qu’être sexué, ici) à la voix d’avant la mue, d’avant la castration (au sens psychanalytique, mais avant tout au sens physique de l’ablation des bourses pour pouvoir préserver la voix d’enfant). Marin Marais a recherché cette voix d’avant la mue, la recherchant sur la viole de gambe. « La famille des violons, comme celle des violes, ce sont des familles de corps humaind en boix creux ». Pour Quignard, la recherche de cette voix serait l’apanage des grands compositeurs. «  Composer de la musique, c’est recomposer un territoire sonore qui ne mue pas ». Quignard m’est source cristalline, loin de l’écriture désincarnée d’Aussaresses. Peut-on même les comparer ? Non.
  4. Saisissante est l’analyse de Quignard sur la cabane retirée sous le mûrier où Sainte-Colombe jouait seul : Marin Marais, jeune, se glisse sous le plancher, écoute, sent, vibre, tel un nouveau-né dans le ventre de sa mère. Il veut apprendre ce que Sainte-Colombre ne lui a pas appris. Musicien confirmé, Marin Marais reconstruira une cabane où seuls deux musiciens de viole peuvent tenir : vie foetale, placentaire, plaisante.

A propos de Bruno Lecat

Amoureux des signes dans tous leurs états.