(remplace Quoi Qui)

Il marche à petits pas, tous petits pas pressés dans la ville irisée grise. Regarde-le marcher. Il parait ne rien voir, ne rien entendre de ce qui l’entoure. Tout s’agite autour de lui. La ville bourgeonne en permanence, continûment. Sur les trottoirs, par paquets colorés, une foule. Quelques trottinettes et même dans certaines rues, des vélos à sonnette qui filent au milieu des passants. Et des chiens en laisse qui baguenaudent savamment, et des pigeons piquant des choses oubliées. Ils sont bien gras sous leur plumage ébouriffé. Sans cesse, une nouvelle foule mâche puis recrache aussitôt ce qu’elle voit. La ville bat sa cadence. A toute allure. Lorsque ses feux tricolores arrêtent la flotte des voitures, camions, motos et bus en alerte, ceux-ci restent tremblants. D’une impatience. Puis le signal vert donné, le carrousel s’éparpille dans un vibrant zozotement de klaxons et de sirènes.
Regarde-le trottiner à petits pas comptés menus ignorant ce brouhaha loufoque, ne prêtant aucunement attention à cette frénésie joufflue, épanouie. Il paraît avoir comme une cécité pour ce qui l’entoure. Un trouble d’observance. il ne sait pas que ses collègues se gaussent de lui, qu’ils rient de sa démarche minutieuse tout autant qu’incertaine comme prêt « à chanceler », « à vaciller », « à se tordre un pied », « à s’affaler » gloussent-ils. Il ignore que des fous-rires étouffés le suivent lorsque de son regard incrédule, il reconnaît une consigne. Il ne le sait pas. Il y a comme une installation d’intouchabilité de lui aux autres. C’est étrange cette tranquille indifférence. Aucune manigance. Il fait ce qu’on lui demande de faire. Pas plus pas moins. Il est là, dans cette ville cyclope et ne regarde rien de précis, ne s’attarde sur rien. Aucune hésitation, il traverse la chaussée sans encombre, oubliant les feux, les véhicules, les invectives. Il marche suavement, sans se précipiter ni lambiner. Tout droit devant lui, il va. Et toujours avec ce sourire à peine esquissé que l’on devine et qui ne le quitte pas. Qui affleure.
Il ne sait pas ce qu’il manque à ne jamais se perdre en chemin. Une marchande de fraises, un coupeur de cheveux dans sa boutique. Les siens frisotent un peu sur le cou dénudé et ses habits sont de coupe citadine, gris ou noirs ou bleu ambiant. Il vient de dépasser la ville malicieuse qui enserre à sa guise, comme une mère chatte ses enfants, ses immeubles et monuments. Il s’apprête à prendre le funiculaire. Il habite sur les hauteurs.





			

A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.

8 commentaires à propos de “Là”

  1. Cet homme perché – tous les sens du terme – va-t-il finir par redescendre ? Finalement, il n’est pas là, mais nous non plus nous ne sommes pas dans son ailleurs… J’aimerais bien que le funiculaire tombe en panne ou qu’un rouage se mette à grincer dans sa mécanique parfaitement huilée : ça pourrait donner une rencontre entre lui et nous…

    • Peut-être qu’il va finir par nous voir… Sait-on jamais ? Pour l’instant, même moi qui le suis à la trace, ne peux me prononcer…

  2. Jolie traversée de ville avec un personnage énigmatique et touchant, qui me fait un peu penser au clown de Hopper, pour son côté solitaire-décalé. merci pour vos mots.

    • Je n’ai pas pensé à Hopper mais oui. Il est à côté solitaire différent et n’a pas l’air d’en souffrir… J’aimerais qu’il n’en souffre pas. On verra bien. Merci pour votre lecture.

  3. Un personnage insaisissable et attachant qui va révéler peut-être beaucoup dans le funiculaire !

    • Oui, peut-être qu’il va nous dire quelque chose. Il le faudra à un moment ou à un autre.