vers un écrire/film #01 | la grande brisure

Elle attrape les verres, les tasses les vases, les bouquins, tout, et elle les jette, tous, par terre de façon mécanique si ce n’est méthodique, elle n’a même pas l’idée de le frapper, de l’engueuler, de se plaindre ou récriminer, non elle prend acte, elle balance tout, lui comme un crabe, reculant, laissant passage, craignant qui sait pour son cristal, lui craintif, elle véhémente, et les verres qui tombent comme à Gravelotte, les assiettes, la vaisselle qu’elle n’avait pas rangée, tout y passe, le petit bouddha allez hop ! que tout se brise, que tout soit brisé, c’est la brisure comme diraient les ouvriers du livre, elle le proclame un poing en l’air, c’est la brisure, la grande brisure, les objets, le bel intérieur propret, conforme, allez hop poubelle, elle balance tout ce qu’elle trouve, ne regarde pas, ne trie pas, une mécanique folle, Tu veux que j’appelle les pompiers ? Bonne idée appelle donc les pompiers, elle tourne autour de la pièce, raide comme la justice, incapable de rester en place, froide, méthodique, enragée dedans, mais froide, très froide, et affairée. Il la suit, à reculons, la garde à l’œil son téléphone collé sur l’oreille,  piétinant un drôle de gravier coloré. A la vue des pompiers : mais ce sont des bébés, tu as appelé des bébés pour me secourir ? Les pompiers s’enquièrent, ils avancent prudemment que peut-être l’hôpital, être au calme, faire le point, mais bien sûr voyons pourquoi pas, et après, une jolie petite clinique dans un parc pour faire de la pâte à modeler, je veux faire de la pâte à modeler, hein ? Tu te renseignes ?  Clinique-parc-pâte à modeler, les pompiers sont mignons, des garçons tout roses encore innocents , toute cette misère qu’ils affrontent sans cesse n’a pas laissé la moindre trace sur leurs minois frais, méfiez-vous de l’amour les gars les pompiers la déposent aux urgences, aux urgences, il y a d’autres urgences, elle ne tient pas en place, tourne tourne et tourne dans le hall d’entrée, l’hôpital est en travaux , pas de salle d’attente, des rubans de signalisation rayé rouge et blanc interdisent l’accès aux sièges, les patients patientent debout, elle, elle tourne, à une infirmière Alors, c’est pour quand ? On a appelé le psychiatre, il va descendre, Quand ? On ne sait pas… Il faut que ça bouge,elle sort, personne ne s’en soucie, elle fume une clope devant les portes vitrées qui s’ouvrent se ferment, s’ouvrent se ferment, elle revient, elle voit l’autre arriver que les pompiers n’ont pas voulu embarquer avec elle, il arrive avec sa gueule de penaud du jour, voûté, ça la frappe soudain comme il est vouté, cette névrose qu’il porte sur son dos, elle le trouve bête, et puis laid, et puis couard,  la vérité lui tombe dessus : elle ne l’aime pas. Ça urge pas trop aux urgences comme tu peux voir, Parles moins fort, il a honte, pas elle, elle attrape un bout de scotch rayé rouge et blanc, se le flanque sur la bouche et continue ses tours d’un air ostentatoire, personne ne semble remarquer, ça l’amuse un moment, il sourit, bon, on se tire, on va pas poireauter indéfiniment, emmène-moi à Sainte-Anne, tu peux me croire l’Adresse, the place to be, c’est Sainte-Anne, T’es sûre ? T’inquiètes, il hèle un taxi. et pourquoi pas sa voiture? Au taxi : on va à Sainte-Anne, le nid de coucou, c’est pour moi, le fou c’est lui mais c’est pour moi quand même, elle parle fort, il susurre, il a honte, ça l’excite, elle raconte tout, l’annonce, les verres, les assiettes, le monde est comme une vitre à quoi bon se cacher, elle claironne Et on s’étonne qu’il y ait des guerres, on s’étonne, elle s’étonne, on est tous fous , le monde est fou et on s’étonne, elle est extra-lucide, ultra intelligente, elle transperce tout et plus elle transperce, plus il se ratatine, chéri je te rétrécis ! tout est là devant ses pensées galopantes, toute sa vie, ses erreurs, ses misères, ses peines, ses joies, ses illusions, tout est là, tout et c’est l’heure du grand tri ! Il faut tout ranger ! elle parle, elle parle, est-ce qu’il l’écoute? De Sainte-Anne, une ambulance la transfère dans un autre hôpital, ah celui-là je ne le connaissais pas encore, trois hôpitaux en une heure quelles noces, il reste à ses côtés, elle lui taxe toutes ses clopes, les fume les unes derrière les autres, il ne dit rien, il se sent obligé de rester, il en bave, elle lui donne des ordres, elle découvre l’euphorie d’être aux commandes, rien ne lui résiste, elle lui fait la liste de ce qu’il devra lui ramener, et des clopes plein de clopes, t’as pas idée comme on taxe les clopes dans ces endroits, tu me ramènes une ou deux cartouches de Dunhill, ok ? Et un peu de fric pour la cafette, D’où tu sais tout ça? T’inquiètes, je sais… Des Dunhill et vingt euros au moins. Le psychiatre, tignasse blanche comme sa blouse, oeil bleu joueur, lui résiste, vous n’avez rien à faire ici, on ne prend que les malades. Mais je suis malade, je suis folle, je suis folle depuis une heure et je suis déjà très douée, demandez à l’autre il va vous dire, j’ai tout cassé et … murmurant soudain, je veux rester, je prendrai des notes, ça m’intéresse les fous, c’est mon truc, jamais réussi à écrire dessus, faut que je me documente, il se marre le psychiatre, peut-être que je suis bipo ? elle a surtout les dents bien pointues selon lui, bon, vous n’êtes pas malade, vous n’avez rien à faire ici, filez je dois recevoir votre chéri maintenant, il est ironique, ça lui plait, ils sont un peu complices entre fous sachant l’être, elle explique aux trois gars en pyjama qui fument dans le patio, un beau type qui ressemble à un acteur (mais quel acteur ?), un prostré, un troisième au nez très fleuri, il veut pas de moi, Qui ? Tous ! le troisième lui offre un clope,  le premier l’allume, elle raconte son histoire, les fait rire sauf le prostré, le mari réapparait, blême, je vais porter plainte pour non-assistance à personne en danger, Pour ou contre ? Contre cet abruti de psychiatre, il dit que tu n’as rien à faire ici mais que tu es en danger je vais porter plainte, il endosse son air de petit chef, il va se le faire le psychiatre, Ah ben oui et comment tu vas faire ? Porter plainte. Contre toi-même ? Et pour le danger tu fais quoi ? Une infirmière le sauve de son embarras, veut lui montrer sa chambre, une petite cellule blanche, repeinte de neuf, Exactement ce qu’il me faut,  la salle de bain-toilettes collective à côté sent l’urine fraiche, N’oublies pas, une cartouche, et des Dunhill hein, et vingt euros… 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

2 commentaires à propos de “vers un écrire/film #01 | la grande brisure”

  1. Merci pour ce texte comme une claque, dans la tête de la folie avec des phrases qui galopent plus vite que nous. Il y a de jolies fulgurances tout du long, ma préférée étant : « ça lui plait, ils sont un peu complices entre fous sachant l’être »

  2. Merci Line de cette lecture, je crois être un peu à côté de la plaque, comme d’hab j’oublie la proposition en cours de route et je suis ma pente!