Les monts et la nuit germent dans l’ombre

Lorsqu’il brûle, l’oxydation du papier abandonne sa blancheur à l’obscurité de la cendre mais la mèche de la bougie attend la raréfaction de son essence, cire, huile, pétrole, alcool … La fin qui suscite l’éveil peut-elle intervenir à temps ?

À la pointe du jour déclinant, le mont Wuhan retient son souffle. L’oiseau file les dernières notes de son chant comme les perles assorties à la nacre des nuages que déchirent la roche à pic. La ribambelle de constructions graciles frémit d’un ultime soubresaut du réconfort céleste. Le souvenir des toits anciens ne s’est pas encore totalement évanouit. C’est la fin d’un été dans le septentrion qui lèche d’une ultime confiance maternelle son petit frémissant avant de le remettre aux soins de l’aventure, ses écueils, ses attentes, et ses souvenirs. C’est la nuit qui plonge sur la montagne et se repaît des dernières goutte du miel de la prodigalité céleste afin d’en révéler les ultimes contrastes et d’effacer ainsi l’obsession du jour pour la splendeur des couleurs. Quelques respirations à prolonger encore et peupleront soudain mille scintillements de l’argent le plus pur pour entrouvrir les portes de l’infini surplombant toute la terre d’une seule teinte rendue, d’un seul souffle devenu, solidaire de l’effacement de la présence à elle-même de ses maillages telluriques dont les êtres qui la peuple en prolongent les méandres.

Qui se souvient, dans l’air raréfié des montagnes, hume la musique de plus d’un parcours. La rencontre des actions souterraines qui nourrirent l’improbable suggestion de ces vestiges enfouis dans les sillons synaptiques des circonvolutions du voyage ; l’éternelle jouissance de la recréation perpétuée du sentiment d’exister et la fin terrifiante contenue dans le programme de la naissance, dans sa terrible permanence. Combien de mots sur quel nombre de lignes pour, s’épaulant, chanter la gloire des tourbillons incessants qui emportent où chavirent les esquifs de nos larmes ? Combien de thèses in-surmontées pour attendre l’évanouissement du chaos que surplombe une fragile rengaine sur le pont de ses quelques notes délicieuses. Et que je m’imagine personnifiant ton chaos à l’abri des puissances que génèrent cette ovation. Que je transporte l’effroi loin de ton aimable présence par la grâce d’une petite voix, fredonnant ce qu’elle en pense. Par les cordes qui vibrent dans ma gorge, ton coup, ma lyre. C’étaient des boyaux que remplacent le nylon, mais il est un con celui qui ne les voit qu’ensanglantés alors qu’ils ne sont rouges que des lèvres du baiser, de l’éternité de tes joues, de ton intimité … Nous frissonnons à l’unisson, à la quinte, à la quarte … sans crainte des intervalles qui creusent leur écart pour se mesurer à toujours plus de tensions, jusqu’à la tierce dont certains voudraient nous faire croire qu’elle effraie Dieu et la seconde de la dissonance, se soustrayant à l’harmonie pour embrasser le passage …

Que nous nous oublions à nous même dans le cours du temps ; que nous cherchions sans fin à rediriger la brûlure qui milite pour ta flamme : qu’il existe un monde où les hauteurs se succèdent aux crevasses pour parcourir l’impossible de ses mille pattes immergées ; qu’habite enfin, végète ou braille la confluence hallucinée d’une antique tension d’être dans le fourmillement de tous les grattements qui le hante ; mais que je t’entende fleurir, Ô mon amour, le plus sublime des soupirs, lorsque l’espoir aura disparu faute d’un abandon à pleurer puisque tout sera revenu, et que raisonne l’immanence pleine et entière résolution de ta vitalité. Toi et le péril qui trésaille dans l’ombre survenu comme l’incidence éloquente qui sourit au matin, parce que le chant de l’incommensurable, jamais ne se pourra taire. Nos souvenirs sont des flambeaux arrachés au néant.

Pour les temps de la fin des Bibles anglaise, le temps de la fin de certaines autres, mais la fin de nos temps dans nos traductions françaises, je n’accepte de mourir qu’à la fin des temps. Ceux qui inscrivent dans la vivacité de mon corps pour répandre l’avantage des myriades d’existences atrophiées dans l’instant ou raffinées d’une heureuse reprise sollicitée par l’écho des jours. Ceux qui distillent la vie d’un courant de mon âme soulevée par delà toute contrition terrestre et reflue dans mes veines le retour de leurs heures subtilisées à l’attraction du vide. Et l’ivresse pour l’inénarrable sentiment qu’il présuppose. Et l’outil qui se repose dans l’attente du retour de la pluie. Et la vertu qui sommeille pendant que les yeux fermés les pupilles se déglinguent dans l’oubli des convenances, suivant le parcours affolé de la sève qui gonfle la vie naissante, vibrante et mourante. Et s’apaise au lendemain la fraicheur retrouvée d’une vitalité nouvelle dans l’unique expectative de l’instant de recommencer … Non, pas encore. Il faut que se forcent les parcours, les appels, les résolutions, les réalisations : que je réalise l’instant d’une vie l’essence des quelques secondes qui me subirent naitre et je te promet, cieux éphémère de la jouissance présente qui me quitte comme elle m’est venue à moi illuminer mes jours et vaincre mes nuits, pour le plus formidable des retours. Nostalgie de l’amante, amant de la nostalgie, je vivrais sous notre couche jusqu’au délitement s’il ne nous fallait nous quitter et mourir un peu, recommencer encore pour de plus tendres retrouvailles …

Ou s’il se doit, à qui importe que l’on perdît la trace de nos infimes étincelles dans l’éclatement des étoiles …

Codicille : Si le promeneur solitaire voyageait en Chine ? Si Rousseau avait croisé les œuvres de Zhang Daqian (prononcer « Zaan Dachian »), « le Picasso chinois » ? Ce dernier est appelé de la sorte parce pour sa maitrise de l’art traditionnel de l’improvisation sur taches d’aquarelle en même temps qu’il la révolutionne par de nouvelles teintes colorées inédites, comme à la même époque, Picasso la tradition occidentale par ses propres moyens. Si Rousseau avait lu les Quatre Quatuor de T.S. Eliot ou leur réponse de Jean Wahl et leurs intriquées matrices d’évocations superposées de la vie, de la mort, de la communion et du pouvoir d’écrire ? Rien de tout cela sans doute, mais cela ne m’a pas empêché d’imaginer dans cette « proposition », ce bref « parcours halluciné » résonnant des mille accords qui sont autant d’échos dans les cavernes d’une expérience de néophyte à l’approche de ces montagnes. Où ce qui s’inscrivit dans la rencontre d’un paysage et du temps. J’aurais aimé m’inspirer davantage de Gracq, mais ce n’est que partie remise.

A propos de Clement Martin

Hop. J'en suis. Jeune enseignant très heureux de sauter le pas de l'action dans cet atelier de François Bon dont je scrute avec intérêt les vidéos et recommandations depuis un certain temps et qui sont devenues pour moi une source de motivation constante. Grand désir de plonger cet été sous les mots afin d'inonder mes habitudes d'un coup de pouce littéraire. Matériel d’écriture : table basse sur parquet clair qu'éclaire une fenêtre de toit en sous-pente, boite chinoise en porcelaine, tasse à thé en terre cuite régulièrement approvisionnée munie de sa bombilla en cours d'oxydation, ordinateur Lenovo à quinze pouces, lampe de papier, coussin de kapok (2), banquette de kapok, matelas de kapok, méridienne d’occasion, fauteuil de cuir brun, piles de livres dans de nombreux coins, tête farcie par les ambitions du jour.