#voyages #05 | Lexique polonais

Piscine 

Un bassin de pierre grise sans liner entre la villa et la forêt.

Sur une eau de mare remuent algues, nénuphars, herbes, aiguilles de sapin et la vie sous-marine des nappes stagnantes.

C’est là que Piotr a appris à nager ; c’est là qu’aurait pu se noyer Ophélie.

Je me retourne et dans une fenêtre du pensyonat Tadeusz j’aperçois le reflet du plongeoir qui tremble.

Chapelle 

Au fond de mon jardin de l’Ulica Gontyna une chapelle de bois foncé

octogonale et basse

toit de tavaillons et clocheton de fenêtres à petits carreaux ternes.

Une chapelle au fond de mon jardin, pour moi, comme la cabane des contes pour l’enfant perdu.

Église 

Le dimanche de Pâques devant une église de la vieille ville

la voix du prêtre et les chants grésillent dans des enceintes installées de chaque côté du porche

sur des tabourets de bar

pour les fidèles arrivés trop tard

murmurant leurs prières agenouillés dans la rue.

Théâtre 

Les musiciens jouent au milieu de décors de carton, de bois ou de plâtre

voiture en deux dimensions, arbres éventrés à l’armature métallique apparente,

colonnes de tragédie, portes de vaudeville

et, dans un amas de planches, l’ombre de Kantor.

Ces reliques abandonneés là par des compagnies sans doute déjà dissoutes

se confondent avec les statues du théâtre dans une odeur de poussière et de bière.

Et nous, au fond sous les balcons aux ornementations de stuc pastel effrité,

assis sur une table renversée de salle des fêtes.

Tu poses ton front contre le mien

pour que je t’entende mieux.

Château

Des murs édentés au milieu d’un champ…

Avant c’était le château d’un roi qui avait rêvé d’un aquarium au plafond.

Cinéma 

Tu prends la porte à gauche de l’entrée du bar

Tu longes le couloir jusqu’à ce que tu arrives dans une cour

Tu la traverses en diagonale et tu montes les escaliers

Au deusième étage tu empruntes la cursive

Au bout tu prends les escaliers de bois

En haut tu tournes à gauche et tu verras une porte

Derrière il y a un couloir, tu le longes

Puis sur tu trouveras au bout une table d’écolier avec la caisse.

La salle peut contenir une quarantaine de personnes,

Assises ou allongées sur des chaises, des fauteuils, des coussins.

Sur un écran froissé vacillent les premières images, piquées et un peu jaunes.

Derrière une chanson de Compay Segundo on entend le moteur du projecteur et le roulement de la bobine.

On est à l’autre bout du temps.

Cour

Derrière les porches, dans cet espace intermédiaire entre la rue et les appartements qui n’existe qu’en Europe centrale

se tisse une tiers-vie

mi-publique mi-privée.

Elle se chuchote derrière des rideaux brodés.

À côté d’une porte, une chaise, une table, un cendrier et un bouquet de fleurs.

Dans la cour, un camion d’enfant et un carton devant l’atelier d’un luthier.

Les odeurs de colle, de rose, de lessive et de soupe circulent dans les cursives.

Froid

Chaque soir nous passons devant un thermomètre digital installé sur le toit d’un grand magasin.

Depuis 44 jours, la température est négative.

Le froid est notre frontière.

Lampes

Les rues de Kazimierz sont éclairées par des lampes en cuivre

accrochés à des fils tendus entre deux façades.

La lumière est douce et donne aux pavés des reflets dorés.

A propos de Francesca

J'enseigne le français comme langue étrangère et la littérature dans un établissement scolaire de Lyon. Par ailleurs, j'écris, dans des genres variés, et je participe à la réalisation de courts-métrages documentaires. En ce moment, je co-réalise un film sur le déplacement de trois platanes au centre de Villeurbanne. En 2021, j'ai écrit un mémoire dans le cadre d'un master en écopoétique sur l'hybridité de l'espace contemporain.