Loup y es-tu ?

Elle sort de la gare fatiguée essoufflée transpirante suante poussiéreuse ayant soif ayant faim ayant envie de pisser contourne les travaux sur la place par la droite en laissant à gauche la gare routière continue dos à la gare pour prendre l’avenue en direction du fleuve et de l’autre côté du fleuve les montagnes austères assombrissent le ciel, le bonhomme est rouge. Le feu avait couvé une partie de la journée avant de se déclarer en fin d’après-midi. On avait appelé les pompiers du secteur qui s’étaient dépêchés sur le lieu du sinistre. Très vite on s’était rendu compte que ça ne suffirait pas et on appela du renfort. Le feu gagnait du terrain parmi les broussailles et à présent, insidieux et gourmand, léchait les taillis. Il n’y avait plus assez de troupeaux pour venir à bout des herbes sèches. Les bergers, découragés par les politiques, ne menaient plus leurs bêtes ici. On disait même qu’on y avait vu des loups ! Vous pensez ! Au moins l’incendie les tiendrait à distance. Deux canadairs allaient puiser de l’eau dans les réserves fluviales aménagées non loin du port de plaisance. Le ventre alourdi, ils volaient au ras des maisons et dans les cours des fermes, les chiens aboyaient, hurlaient à la mort. Tout le monde disait que ça devait arriver. Le site n’était plus ou peu entretenu, n’appartenait plus à personne ou à de lointains héritiers de toute façon pas intéressés. On ne peut rien tirer de ces terrains rendus inutiles par les multiples réformes qui n’engraissent que les gros de la plaine qui ont su être opportunistes. Voilà comment ça marche. Les flammes dansaient maintenant sur la crête et se confondaient avec l’incendie du couchant. La fumée empêchée de se disperser par le manque d’air stagnait au-dessus de la ville et l’on sentait déjà des picotements au fond des gorges. Les sirènes répondirent aux cris une partie de la nuit. On n’avait pas voulu croire que ça pouvait arriver et pourtant, le feu avait laissé des traces noirâtres que tout voyageur apercevait dès sa sortie de la gare. Le bonhomme est vert. Deux voitures qui se suivent passent en trombe manquent de renverser un piéton d’écraser un chien faisant un écart obligeant l’automobiliste d’en face à piler putain l’aurait pas fallu que ça cogne. On ne sait jamais, avec ces gens-là. Heureusement la voiture a de bons freins, le véhicule a passé avec succès le contrôle technique et le conducteur, malgré son âge a encore de bons réflexes. Le soir, il en parle à table, fustigeant les agents de circulation jamais là au bon moment tandis que le chien, impassible, lève la patte au pied d’un arbre dont la grille a été déboulonnée par précaution avant les manifestations des gilets jaunes, on ne sait jamais, ce qui pourrait arriver quand la colère gronde. Et le préfet tient à son poste. Et à ses grilles. Quant aux arbres, rien n’est moins sûr.

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.