#L4 on n’en finira donc jamais

De A.J Cronin : cette sensation que le monde suit un parcours déterminé à l’avance – on découvre le châtiment, la faute, l’erreur – l’adultère j’ai oublié le titre, « Sous le regard des étoiles » était cette histoire de mineurs un type avec un casque et sa loupiote dans les rouges

De Suétone : jamais lu le livre était là, parmi tous les autres, dans les verts, pourquoi y avait-il douze césars, quelle histoire, quels historiens quels textes

De HMS Ship Ulysse (en vrai le S HMS est ship) (ça donne ship ship) (Her Majesty) (de qui, je ne sais pas), la guerre aussi sûrement que De Lattre de Tassigny de Corvée de Chiottes demain (une blague de mon père – parce que tous ces premiers livres sont de mon père)

De La Terre : un pléiade le papier si fin si doux le texte qui s’efface sous celui qu’on lit, on ne voit pas bien, il manque la géologie, le mica, l’histoire du grain de sable de Fontainebleau (en seconde peut-être cette consigne du prof d’histoire-géo pour l’examen (la composition on disait) « vous êtes ce grain de sable, racontez votre vie ») (ou en sciences nat ? ces moments-là en tout cas)

Des Zembla et X 13 et autres petits bouquins bandes dessinées revus plus tard avec Francis Lacassin, Rahan et autres bellâtres (j’allais aussitôt à Johnny Weissmuller et sa Jane (ah les brunes…!) – ces anatomies retrouvées ensuite dans le Laocoon) (Spirou un peu concon, Tintin détourné en bédé plus ou moins décomplexée comme on dit aujourd’hui, sexe bandant à l’air courant après une Castafiore assez dénudée (ah les blondes…!), ce genre de rigolade pocharde, puis de Pilote et d’autres encore)

De toutes les chansons du monde, mais surtout de celles qui parlent des départs, des sanglots étouffés, des amours déçues et des regards longtemps portés sur ceux (et celles) qui ont depuis longtemps disparu de l’image derrière l’horizon

De Conan Doyle pour rester seul dans le noir, à trembler devant l’apparition du diable sur la lande, le pelage en feu et les dents acérées

De Frédéric Brown la défense de l’appart par une énorme masse pendue au dessus de la porte pour en tuer l’intrus

De Ray Bradbury, de Richard Matheson (« c’est écrit, relisez Matheson » verdict manuscrit du Goimard Jacques à la lecture d’une de mes nouvelles), de A.E. Van Vogt (A pour quoi, et E pourquoi pas), Théodore Sturgeon et tant d’autres (mais peu ou pas de femmes auteures), tous ces livres dans la bibliothèque du fond du couloir, tous les possibles, toutes les ouvertures, toutes les histoires semblables, quêtes, recherches, enquêtes – libido diffuse – héroïnes désirables et/ou furieusement sexy (le sexe est furieux, bien sûr et toujours)

Du Castor son portrait d’une jeune fille rangée qui explique la vie d’une femme et qui montre comment on vit comment on vivait dans ce(s) corps-là – le corps surtout – et les mots de Jean-Paul Sartre presque en même temps – un peu de Nausée sans doute – et un cadeau de Noces de Camus je ne me souviens de rien – le football et Maria Casarès mais très longtemps après la Facel-Véga et Michel Gallimard

De Françoise Sagan au volant de son cabriolet ce bonjour tristesse non loin de la mer de la plage des vagues et du soleil (et du père aussi bien)

De Chateaubriand les mémoires d’outre-tombe à la radio lues par quelque Jean Narboni ou j’en sais rien écoutées dans les moments d’insomnie (nombreux) de quatorze ou quinze ans dans la chambre verte

De ce type qui vivait en banlieue, le Quai des Brumes qui devait être (dans mon imaginaire peut-être) un livre taxé chez son employeur par un de mes amis de cinéma d’alors (Pierre Mac Orlan) qui me l’avait offert à un anniversaire (vingt-cinq, vingt-sept) (jamais lu)

Des dictionnaires et des livres rangés par ordre alphabétique («j’ai tout rangé, toutes les bibliothèques, les livres par ordre alphabétique » c’était rue de la Sablière) – mais pourquoi faire ? pour les retrouver plus facilement… ah bon ?

De Françoise Dolto décomplexée du homard, à la radio dans ces années-là, toujours beaucoup aimé ses paroles, puis ses livres (mais plus tard) en passant par le haut de la rue Saint-Jacques imaginer (très souvent) sa manière de faire le tour du pâté de maisons pour évacuer les dires et autres de la patientèle (j’aime beaucoup la patientèle, un peu comme le mannequinat – ce genre de mot qui donne envie (aussi) (surtout) de gerber)

De Freud fatalement et de son homme assis sur son pot dont un rat vient dévorer l’intérieur en passant par l’anus – et de ses cinq psychanalyses – et de son cancer du cigare, tout comme celui de Lacan, tordu sec indiscutable et cette maxime « l’humanité, en général et globalement, est bien une abominable canaille » (je cite de mémoire)

De Breton le premier et le deuxième manifeste, devant une espèce de prof en blouse grise (non, j’invente) mais chauve et âgé, je revois ses lunettes et d’expliquer ce que peut bien vouloir dire ce trait blanc sur fond noir – la pensée – et cette façon de sortir dans la rue pour tirer sur n’importe qui, au hasard et d’abord sans doute sur ce professeur, là – en résulta un curieux 18 en français au bac C

Dans les verts le précis de philosophie avec ce prof qui expliquait expliquait (un petit homme brun et bien coiffé) tandis que au fond de la classe on trépignait sur nos exercices de maths

De Lagarde et Michard le goût prononcé pour Racine et les petits livres Larousse après aussi Bérénice Phèdre et Bajazet « que parlez-vous madame et d’époux et d’amant/ô ciel de ce discours quel est le fondement ? » – et le chœur de Sodome et Gomorrhe, Giraudoux intitulé « ordure » par un ami de mon frère sur la terrasse de l’appartement du boulevard Rochechouart

De Jean Ray et de son Harry Dickson sans aucune vraisemblance, bordélique dans l’intrigue on n’y comprend rien – mais je ne me souviens pas tellement de travail de la sexualité, ou de la libido, chez ces héros-là (Sherlock ou Harry)

De Marguerite les petits chevaux qui vivaient je ne sais où (on est en vacances à Tarquinia, mais c’est où ?) et puis le campari et puis Gibraltar (qui va directement, en pointant vers Brassens) (beaucoup de musiques tout au long de tout ça) (India Song et Delphine qui épluche des pommes de terre dans sa cuisine, du côté de Bruxelles et son quai du commerce)

Du transsibérien de Blaise et sa main, son bras droit partis à la guerre dite grande, peu de sa poésie, du baroud, des linéaments de l’espionnage

Des Italiens, des Argentins, des Portugais (les filles aussi) mais plus tard pour savoir comment se fait la vie ailleurs

Des biographies mais plus tard aussi afin de savoir comment on fait pour vivre

Des horreurs racontées sous l’emprise, la houlette ou simplement le nom de Sir Alfred – beaucoup de sang, de trahisons, d’éventrements, de gorges tranchées – une mystification, une façon de raconter quelque chose d’autre que la réalité des amours

De Roger O. Thornhill (« pourquoi ce « O » ? » demande Eve, « oh, pour zéro » dit-il) ce geste en direction de sa mère qui entre dans le restaurant (le Plaza) où un serveur demande « monsieur Kaplan ? Monsieur Kaplan au téléphone… » lequel serveur se dirige donc vers Roger qui prend le téléphone et qui devient, par là, le monsieur Kaplan en question (Georges Kaplan) (c’est un film, pas un livre, c’est un acteur pas un auteur mais c’est Cannes aussi)

De Perec et de ses personnages et de sa vie, son (ou sa) mode et son emploi – le livre que je n’ai pas lu alors, mon ami A.T. l’avait lu à la sortie ou au prix reçu, plus ou moins indiqué mais oublié – plus tard oui

De Proust il y avait particulièrement le parcours haut-le-pied jusqu’à Calais pour prendre ce train qui allait à Nice en passant par Paris où j’avais décidé qu’il fallait descendre – les habits de Swann et les roches noires de Marguerite et la tentative de trouver exactement où se trouvait son Baalbec sur une carte – ce sont sûrement les cartes de l’internet qui ont favorisé mon entreprise de reconnaissance des lieux et des diverses occasions, le plus souvent manquées, de faire quelque chose d’autre que ce que j’en fis de ma vie

De Stendhal (dont je viens de découvrir la tombe non loin de celles des miens) (qui sortait d’un repas avec un ambassadeur ou un ministre et mourut dans la rue ou presque) (du côté de l’Olympia aujourd’hui, plutôt : et Capucine qui est nom de scène d’actrice l’une des trois abeilles du guêpier de Jo Mankiewicz) la tête de bidule sur les genoux de sa maîtresse c’était une jolie image plaisante et qui indiquait que l’amour jamais ne mourrait

De John Dos Passos Manhattan Transfer (le livre se trouve dans le sac du type, là) pour faire un essai afin de savoir si les articles remontent (c’est niet) (je ne le porte point à l’inventaire sentimenthèquien)

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

12 commentaires à propos de “#L4 on n’en finira donc jamais”

  1. Ah Marguerite et le Campari ! Imaginer le goût que ça a avant de pouvoir en boire. Et ne jamais se lasser, ni de Marguerite ni du Campari (en Spritz, avec du tonic, ou un jus de pamplemousse fraîchement pressé). Merci, Piero, d’y avoir pensé.

  2. Les chansons OUI celles là justement ( et même Piaf avec Duras) un Campari et un Lagarde et Michard qui a l’odeur de moisi des armoires de Ré « mon mal vient de plus loin » dit Phèdre dans la cuisine (quand on répète c’est partout)

  3. ah ben Marguerite se balade par chez moi aussi, avec Madeleine et Bulle… un Campari à Paris quand tu veux 😉

  4. Les Lagarde et Michard en bonne place ici aussi dans une des bibliothèques – toujours le plasir de les feuilleter

  5. Merci Piero pour ce joyeux éclectisme, les chansons, les chiens dans la lande, les biographies qui nous disent comment on aurait pu vivre, les classiques Larousse et leurs photos désuètes.

  6. Suétone : terrifiant et qui nous rend si proches de ce qu’a été le monde gouverné par des fous (ou presque). Ce livre m’a aussi beaucoup impressionnée.
    Magnifque ta description de Conan Doyle !
    Je n’ai plus de Lagarde et Michard, mais les petits livres Larousse, oui, avec les passages soulignés à apprendre par coeur. Nostalgie !

  7. Rétroliens : #L6 – Tiers Livre, explorations écriture

  8. Rétroliens : #L9 Faubourg (contrechamp) – Tiers Livre, explorations écriture