#P12 | 56 fois Lafond

1. Jouxtant les marches de pierre, il y a un puits et un grand timbre. 2.Les Rochelais accueillent les premiers réfugiés en septembre 1939. 3. Au numéro 113, à égal distance de l’hôpital psychiatrique et du regard du chat qui dort. 4. Le carillon de la porte vitrée tinte à l’entrée de chaque client. 5. Au grenier, les feuilles de tilleul ont séché. 6. « Levé de bonne heure. Je ne fais rien et je suis bien fatigué. Je ne comprends pas. Ramasser des feuilles me fatigue. Me promener me fatigue. Je ne quitte plus la maison. » 7.. La lumière décline, Marcel n’est pas rentré et dans la rue, les chars circulent au pas. 8. Elle grimpe l’escalier dans l’impatience de remonter le passé. 9. Elle parle des dahlias qu’elle aime tant, des chênes majestueux qu’elle observe depuis la terrasse, des fruits de l’été et des légumes cachés sous la terre. Ensuite, elle raconte les jours et les nuits, les danses nocturnes et les rires filtrant de la berge oubliant de poser les yeux sur la comtoise. 10. Elle oublie. Confond. Ne se souvient plus de la couleur qui recouvrait les murs du café. 11. Le bus s’arrête devant le grand portail de bois. Deux personnes montent. Personne ne descend jamais. 12. Au faîte de la façade, une tête sculptée dans la pierre observe les allers et venues depuis des centaines d’années. 13. Elle s’agenouille sur les planches de bois longeant les fraisiers, cueille les fruits rouges en pensant à tout ce qu’il y a encore à faire. 14. Le fil à linge est nu. 15. Des ombres longent les murs d’enceinte, se cachent à la faveur des grands arbres. Les issues sont multiples. 16. Sous le foin se chuchotent des plans d’évasion. 17. Elle secoue la tête, refusant de partir. Elle peut encore tenir debout, gravir les escaliers et s’habiller seule. 18. La sablière, 1690 19. Ses joues sont rouges d’émotions et de fraîcheur. 20. Jamais aucun bruit ne s’échappe de la maison voisine. 21. Elle est au centre de la pièce et ne reconnait rien.  22. Ce matin, la cuisine sent le pain grillé, les œufs brouillés et la légèreté. 23. Elle lit le programme du cinéma, assise sur la première marche de l’escalier. 24. Le long du mur du champ il y a un ruisseau qui disparaît vers le jardin voisin. 25. Contre la verrière est posée une échelle près d’un arrosoir bleu. 26. Par les lattes disjointes des volets, s’infiltrent des poussières de lumière. 27. Sur la tapisserie de la chambre, des fleurs rouges, comme des coquelicots. 28. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas mis de robe ? Le lycée ? Son départ de l’île ? 29. Lorsqu’elle quitte la maison, elle oublie de fermer la porte à clef. 30. Le dimanche, c’était toujours la fête. 31. D’ici, on n’entend pas l’océan, on entend le vol des canards près du ruisseau, il surprend lorsqu’on s’approche de la berge. Le soir, c’est le chant des crapauds. 32. Ça ne peut pas durer toujours. 33. « La maison s’en va petit à petit il faudrait de la peinture, de la maçonnerie, un parquet à changer, notre armoire qui s’effondre. » 34. Le facteur passait deux fois par jour, le matin puis le soir. Souvent, il posait le vélo contre le mur, sacoche ouverte, posait le courrier sur le comptoir et buvait un petit verre avant de reprendre la tournée. 35. Au rez-de-chaussée, la buée rend invisible ce qu’il se passe à l’extérieur. 36. Une odeur de pommes cuites se répand dans toute la maison. Trois à quatre pommes, du sucre, des œufs, de la farine et du beurre. Les pages du cahier ouvert sur la table sont jaunies. A côté du nom de la pâtisserie elle a ajouté : recette de maman. Sur la gazinière, l’eau bout pour le café. 37. Elle glisse dans la poche de son gilet une brève liste de courses et quelques pièces. Ce ne sera pas lourd, juste quelques fils de couture. 38. Tickets pour isolés civils délivrés par la Maison d’Arrêt d’Angoulème pour être utilisés du 5 au 29 Fév. 44. 39. « J’ai attrapé froid dans ma chaise longue et j’ai mal à mon poumon gauche ». 40. Un jardin dans lequel il y a une pompe, une motte au bout sud, jardin avec un lavoir et cours d’eau autour de ladite motte. 41. « Quel changement de vie en une génération. Je crois qu’il faut mettre chapeau bas devant les jeunes, ils ont une autre conception de la vie, ce que l’on pourrait appeler la confiance de la vie, ne pas avoir peur ». 42. Marcel habite la margelle du pont de pierre. 43. Pendant ce temps, le lien fut conservé. Elle a suivi l’onde des années, des rencontres et des solitudes sans l’oublier. 44. Sa vie se cristallise dans cette chambre humide. 45. Elle est la couturière du quartier. Elle reprise jusqu’à ne plus voir le chat de l’aiguille qui se perd dans le flou de l’âge. Elle se pique et se repique les doigts ensanglantant les tissus de sa vue qui se brouille. 46. Dans le fossé rôde des silhouettes enlacées, des brins de paille oubliés et l’espoir de se rendre invisible. 47. Le bois bruisse des murmures des évadés, des coups de haches à l’orée de l’hiver et des racines puisant l’eau des sources de Lafond. 48. Quand on lui demande son âge, elle dit toujours « 37 ans ». Elle s’est arrêtée à cet âge, et il est impossible de lui en faire dire un autre. 49. Les traces du passage de Camille sont là. La tasse égouttant encore sur l’évier, les quelques miettes éparses oubliées sur la toile cirée, un morceau de papier qui n’était pas là la veille et où est noté « Bonne journée ». 50. Il y avait, le long du comptoir, des habitués et quelques voyageurs de passage. Les conversations s’animaient à mesure que les verres se vidaient et se remplissaient. On ne les comptait plus, on entendait, dans le brouhaha des conversations, à travers le brouillard des fumées de cigarettes, « Chaud, chaud devant ! » sans y prêter véritablement attention. 51. A cette époque, elle pouvait lire dans le journal : « Les services de la défense passive informeront très prochainement le public que tout camouflage des lumières est désormais suspendu ». 52. Augustine la prend dans ses bras, sans hésitation, sans pudeur ni larmoiements. Elle la sert, délicatement, entend battre son cœur dans sa tempe posée sur son épaule. Elle la rassure, lui dit que tout ira bien. 53. La nuit, Camille entend l’océan comme s’il était derrière ses volets. Elle l’entend rugir et la bercer, lui apporter la voix de son grand-père et le murmure des morts. Ils semblent tapis derrière les murs de la demeure, si propres alors que l’océan les sépare. 54. Elle a quelque chose de familier. Les reflets de ses cheveux ? Son regard ? Oui… Son regard… 55. Elle est à pied, sac à dos sur les épaules. Elle est seule, sur le chemin du retour. Un retour craint et elle s’impatiente aussi Elle le veut beau et coloré. Fait des tours et des détours. Scrute l’horizon et fait un pas en arrière. Ce soir elle boira jusqu’à se saouler, Ivre de souvenirs et de rencontres, de danses et de rires, les mains dans les poches et les pieds poussiéreux.56. Ses doigts sont recouverts de peinture bleue. Un bleu breton, un marin au milieu de la mer sur son bateau de pêche. Elle sourit. La barque de Victor était blanche, seule la bordée était bleue marine.

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663