P3 – Cure de raisins

Une assiette, une grappe, raisin blanc chasselas biologique. La main s’empare du raisin, le porte à la bouche, le jus coule, la langue est sucrée, peau du raisin mâchée et rejetée, posée sur le bord de l’assiette avec les pépins.

Une assiette, une grappe, raisin blanc chasselas biologique. De nouveau, la main, raisin, jus, sucre, peau, bord d’assiette et serviette pour les lèvres. La grappe diminue et autour, les assiettes fument. Au soir, le corps se pose, le ventre gargouille à peine, demain est un autre jour !

Une assiette, grappe raisin blanc chasselas biologique. Une cagette de sept kilos. Serrées les unes contre les autres, les grappes. L’une d’entre elles est extraite, lavée à l’eau claire, posée dans l’assiette. Le corps hésite, ne trouve pas encore son rythme.

La fatigue s’installe. Le corps dort, profondément, sans rêves. Sensation au réveil d’être partie dans un autre monde, traversée de l’univers terrestre pour se mouvoir, loin, très loin. La faim s’installe, plonge dans le ventre, en tord les intestins et détraque les tuyaux. La tête tourne, roule en boule, vertiges.

Une assiette, grappe raisin rouge d’Italie biologique – Cagette de sept kilos. Rouge, pareil au vin bien aimé, au sang vermeil, plus petit, plus rond, moins bon que le blanc, malheureusement. Les jours glissent sur le corps lisse. Dessin des os et des côtes. L’insoutenable légèreté de l’être – Le corps se regarde, miroir, chaque matin.

Une assiette, grappe raisin rouge d’Italie biologique – Les somnolences s’envolent. Limpidité du son, de la couleur, des odeurs. Clarté du cerveau, les pensées tissent des chemins secrets, balaient des obstacles, se forment, immenses et puissantes. Le mental s’éveille à ce qu’il ne voyait plus, à ce qu’il n’entendait plus. Liberté de l’esprit. Liberté du corps. Retrouve les routes de la course, les poings de la boxe, les mouvements de la danse, sans s’arrêter.

Deux semaines sont achevées – Achat d’une troisième cagette ? La tête dit oui mais le corps n’a plus faim. La tête insiste, trois semaines avaient été décidées.

Une assiette, grappe raisin blanc chasselas biologique. Les yeux contemplent mais ne voient plus, le jus coule mais sans saveur, le sucre écoeure, la peau se déchire, les pépins tombent, les grappes s’accumulent. Le corps se sent bien, n’a plus faim, ne désire plus rien, même plus de raisin.

Serait-ce le bonheur de n’avoir plus de besoins ?

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.