#P3 Persévérer

La bouche en feu grâce au baiser du piment, certes. Les maux de la Coumbost, expression Adriatique de l’art. Exhalaison méditerranéenne et exaltation du palais et des sens. Maintes tentatives pour reproduire celle de la famille italienne, questionnement des tantes, réunion de conseils épars et contradictoires, du matériel et des ingrédients avec pour unique but : la réussite.  En vain.

COMPOSTA DI PEPERONI : Elle se réalise en une dizaine de jours dont trois jours de préparation. Ingrédients : 2,5 kg de poivrons verts, rouges et jaunes. Céleri : 1 gros pied. Piments : 10. Têtes d’ail : 2 grosses. Sel fin. Vinaigre d’alcool blanc. Huile d’olive.

Les premiers bocaux avariés, poivrons fermentés : dans les toilettes, chasse tirée, haussement d’épaule.

Persévérer.

Les poivrons découpés, mis à dégorger dans une passoire avec du sel puis disposés sur un torchon afin qu’ils sèchent avant d’être placés dans l’huile :  moisis en une nuit.

Persévérer.

JOUR 1
1°) Laver les poivrons, le céleri et les piments, peler le céleri, éplucher. Couper les poivrons, les piments, les branches et les feuilles de céleri en petits carrés. Hacher l’ail.
2°) Mettre tous les légumes dans une passoire. Saupoudrer de sel fin (2 à 3 poignées) puis laisser suer et s’égoutter au-dessus d’un évier ou d’un récipient pendant 24 heures.

Le contenu des bocaux stable au bout des deux mois d’attente préconisés une fois ouvert : une odeur doucereuse s’en dégage, les poivrons d’une consistance molle ont  une couleur maladive.

Persévérer.

JOUR 2
3°) Mettre les légumes égouttés dans un grand récipient, y verser le vinaigre (2 à 3 verres) et brasser avec une cuillère en bois. Laisser macérer 3 heures en brassant de temps en temps.
4°) Verser les légumes dans une passoire et laisser égoutter pendant au moins 12 heures.

Des coulées d’huile  apparaissent verticalement le long des portes du placard : les bocaux disposés au sommet suintent d’huile en dépit de leurs couvercles en verre ornés d’anneaux de caoutchouc, leur contenu gonfle de manière inquiétante et menace d’exploser. Une odeur de graisse frelatée et d’ail acide envahit la cuisine.

Persévérer.

JOUR 3
5°) Verser les légumes par petits lots dans un torchon propre et les essorer. Pour que la composta se conserve longtemps, il faut que les légumes expulsent bien toute leur eau.
6°) Verser une cuillère à café d’huile au fond de chaque bocal. Remplir les bocaux avec les légumes jusqu’à environ 1,5 cm du bord. Couvrir d’huile. Poser les couvercles sur les bocaux mais ne pas les fermer.

S’approcher des bocaux, les descendre, les ouvrir avec précaution, la pression due à la fermentation est telle qu’une effervescence agite leur contenu ; la Coumbost est trop  vivante.

Persévérer.

Tenter d’ouvrir avec prudence le premier bocal au joint de caoutchouc qui résiste au-dessus de l’évier : tirer sur le joint pour donner de l’air. S’échappent alors comme des diables en boîte à ressort des substances délétères en flots vomitifs dans l’évier.  

Persévérer.

Onde indésirable et écœurante, mouvante et agitée, la houle huileuse ambitionne de douteuses destinations : toilettes, évier, poubelle…

Persévérer.

JOUR 3 A JOUR 10
7°) Laisser les bocaux ouverts pendant 8 jours en rajoutant de l’huile de temps en temps si nécessaire. Il faut que les légumes soient toujours sous l’huile.

Poursuivre cet entraînement masochiste à retrouver l’odeur, la consistance, et le « vrai » goût de la Coumbost.

Persévérer.

Continuer à glaner des conseils contradictoires au fil des années et les mettre en pratique.

Persévérer.

Une année peut-être,  parvenir à obtenir un  résultat satisfaisant, à savoir la véritable odeur de la mythique Coumbost.

Persévérer.

JOUR 10
8°) Rajouter de l’huile une dernière fois et fermer les bocaux.
Attendre de préférence une semaine avant de consommer sur du pain frais ou grillé, ou encore en condiment. La composta se conserve et se bonifie tout au long de l’année.

Passer le second test, celui de la consistance, ni trop molle ni pas assez. Passer le troisième test, celui de la dégustation et du goût, ni trop ni pas assez pimenté.

Persévérer.

La Coumbost vivante semble réfractaire à toute logique.

A propos de Rose-Marie Mattiani

Je tente d'écrire, j'anime des ateliers d’écriture depuis plus de vingt ans, suis aussi élue à culture et au patrimoine à la mairie de la ville où j'habite dans les Pyrénées-Orientales, entre mer et montagnes. J'ai animé des groupes de personnes souffrant d’addictions, des groupes de personnes âgées ou en situation de handicap, des groupes d’enfants, des ateliers dits « d’écriture à dess(e)in ", d'autres "en marchant, en écrivant". J'ai quelques recueils de poésie édités aux Éditions Unicité. Je tâtonne...

11 commentaires à propos de “#P3 Persévérer”

  1. Très beaux effets de répétitions pour une de ces recettes dont on se demande qui a bien pu l’inventer tellement elle est tordue, à la limite de la perversité. Peut être vous en réalité ??
    Je pense à l’instant à mes tentatives de cédrats confits…un cauchemar

    • « Recette tordue, à la limite de la perversité » ; votre réflexion me fait rire et je vous en remercie ! Ce n’est pas une recette, c’est un étendard de rital du sud, ce sont des milliers de recettes transmises oralement dans les familles, chacun y allant de son grain de sel, tour de main ou de passe-passe, huile d’olive ou huile d’arachide, on pourrait s’étriper pour moins que ça, c’est ce qui doit en faire le charme !
      Je compatis pour le cédrat confit et sa fameuse pénétration du sucre 4 à 5 jours durant… Masochistes ou obstinés que nous sommes !

  2. Très juste !
    Combien de recettes ratées avant une de réussie? Vous rendez hommage à ces heures ( jours) de travail appliqué mais inutile…on serait en droit de se demander si lesdites tantes sont passées par les mêmes épreuves..

    • Brigitte merci pour votre commentaire !
      Je vous en enverrai bien si j’en avais, mais je n’ai pas le courage cette année de m’y remettre… J’ai pourtant des sœurs auxquelles cela ferait plaisir, retrouver un goût d’enfance à nos (grands) âges…