#P4 comme qui dirait

parce que leurs regards ils sont, comme qui dirait, durs, ils sont sombres au-dehors, ça existe des regards sombres non, ça existe des visages comme qui dirait fermés, ça existe des gens comme qui dirait mauvais, qui vous veulent du mal, qui vous regardent comme qui dirait de travers, oui c’est à cause d’eux que j’ai besoin de mots en plus, de mots pour remplir un peu l’espace qui me sépare d’eux, parce que cet espace, il est comme qui dirait immense, incommensurable, quelque chose comme ça, cet espace je sais pas comment le remplir tout seul, alors oui, faut bien, c’est comme ça, vous voyez, au bout du compte, si vous voulez mon avis, pendant que je dis ces mots ce n’est pas moi que je montre, comme qui dirait que j’expose, parce que faut pas croire, j’ai besoin des autres mais je ne sais pas aller vers eux, j’ai besoin de ces mots en trop, ils sont comme qui dirait des incompris, un peu comme nous quoi, à force d’aller partout ils habitent nulle part, ils sont comme qui dirait des sans-abris, et puis vous vous savez utiliser les mots, si vous n’en voulez pas de ceux-là alors laissez-les moi, parce que je suis, comme qui dirait livré à moi-même quoi, vous savez bien, vous voyez, c’est bien entendu, parce que leurs regards, leurs yeux ils sont comme qui dirait mauvais et ils me demandent de parler, alors ces mots-là j’en ai besoin, hein, je vous dis, parce qu’ils sont un fil comme qui dirait tendu, tendu vers le peut-être mais tendu quand même, ce qui c’est tout le monde mais c’est peut-être personne, je peux pas savoir je ne connais pas leur visage, ce qui il est tout seul ou ils sont plusieurs, alors oui que ça m’angoisse, oui que je ne sais pas qui les entendra, oui vous vous m’écoutez mais vous êtes payé pour ça, vous êtes comme qui dirait un professionnel, vous allez pas m’interrompre, vous vous me reprenez pas c’est pour ça que je vous parle, l’autre jour on m’a repris et je ne savais plus par où commencer, vous vouliez dire quoi, on m’a demandé, allez-y expliquez, je ne comprends pas, voilà ce qui se passe quand je m’aventure dans mes mots à moi, dans comme qui dirait mon langage, ils deviennent incompréhensibles, alors il me faut bien comme qui dirait une béquille, il faut bien quelque chose pour ne pas trébucher, vous savez, en fin de compte, c’est sûr, on sait jamais … non on sait jamais, on peut jamais savoir, ça c’est sûr, parce que ces mots-là vous savez parfois ils peuvent dire quelque chose, ces mots ils m’aident, ils m’aident à me sentir comme qui dirait moins seul

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avais pris quelques notes avant de commencer le texte, puis les mots m’ont menée dans une tout autre direction, à laquelle je ne m’attendais pas, celle d’une amitié pour ces mots-chevilles, ces mots-béquilles

A propos de Elise Hugueny-Léger

Pratique l’écriture et les ateliers en français, avec des participant.es anglophones, depuis la côte est de l'Ecosse. Première participation aux ateliers FB... l'impression de se jeter à l'eau: vivifiant!

6 commentaires à propos de “#P4 comme qui dirait”

  1. Ah, j’avais lu « De la can quoi ? » et bien aimé sans commenter (je n’aime pas trop la can quoi, même je déteste) et je tombe sur « Comme qui dirait »… j’aime beaucoup.

    • Merci Danièle pour vos lectures et votre retour – la cancoillotte en effet c’est (comme qui dirait) ‘an acquired taste’ comme on dit en anglais avec du tact tout britannique… Suis allée me promener sur votre site, je dois y retourner et prendre le temps de l’explorer !

  2. Beaucoup aimé ce texte et son rythme qui tourne autour de la béquille « comme qui dirait » attrapant les mots dans le cercle qu’il forme.

    • Merci Béatrice, je me dis que nous nous sentons tous à un moment donné estropiés du langage, et que ces mots dépourvus de sens peuvent rassurer, simplement par leur présence.