#P7| La 5ème saison

La moto baignée dans une flaque de soleil au pied de l’arbre. Cet arbre qui est peut-être centenaire haut comme il est et qui a été sauvegardé au milieu des constructions alentour. C’est en bas à droite si on se penche par la fenêtre quand on recherche le soleil avant qu’il ne s’en aille de l’autre côté de l’immeuble. Mais ce que l’on voit d’abord ce sont les arbres en face qui se découpent sur le ciel comme en surimpression du second plan. A l’arrière ce sont désormais deux immeubles, trop haut, qui cachent le soleil quand il y en a, qui cachent le ciel quoiqu’il arrive et qui enlèvent à l’œil la capacité de voir au loin, plus loin. En bas ce sont les arrière-cours qui servent de parkings plus que de lieu de vie ; même si à certains moments – pendant le confinement, pendant les vacances ou en dehors des heures de classe – servent de cours de re-création à deux enfants qui malheureusement semblent ne pas se connaître et ne rien savoir l’un de l’autre de chaque côté du mur qui les séparent si peu géographiquement. Aujourd’hui il fait gris, les nuages occupent tous les espaces d’un ciel qui est toujours bleu above radieux comme faisait dire Gainsbourg à Birkin dans « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve »… Les voitures s’égaient depuis quelques jours avec les vacances que ce soit dans le parking de gauche ou sur la route… même les travaux sur le chantier d’en face semblent être à l’arrêt : si une silhouette ne s’était manifestée sur le toit ce matin, on aurait pensé qu’il était totalement déserté pour un jour de semaine… Les arbres n’ont pas fleuri cette année, ils l’avaient fait l’année dernière, mais il y avait eu du soleil en continu pendant si longtemps… un peu plus loin entre deux espaces boisés on devine le haut d’un rosier, de belles roses rouge semblent y demeurer accrochées mais il est loin de la portée des yeux, trop loin pour en savoir vraiment l’état réel…

Avant les chantiers la vue était dégagée et c’était un tel plaisir de voir le soleil se lever derrière l’immeuble aux vitres miroir, passer derrière un petit arbre sur une colline qu’on ne peut plus voir désormais et poursuivre sa course si haut avant de tourner… Tout semblait plus beau dès que le soleil était là, ou même la lune la nuit… Ce vide permettait au regard de se porter plus loin sans être trop vite bloqué et suivre la course du soleil pouvait occuper quelques heures. Désormais, il ne faut pas rater le créneau, plus court et surtout encombré par l’immeuble dressé sur le passage… Regarder les arbres était devenu une habitude, les voir changer au fil du temps, nus, feuillus, habités ou non par des nids ou des oiseaux de passages, pigeons se faisant l’amour ou la guerre, les corbeaux qui les chassent pour profiter des hauteurs, pies chapardeuses qui passent indifférentes au milieu de tout cela, sans oublier les moineaux et tous ceux sans pédigré identifié… Observer les oiseaux aussi à la recherche de nourriture ou de brindilles éparpillés sur les toits pour construire des nids visibles ou pas, voir passer les élagueurs une fois par an qui ont notamment couper court à cet arbre mort en apparence mais que les oiseaux aimaient tant…

Deviner le changement des « saisons » à la couleur des feuilles des arbres, aux bourgeons qui reviennent, et les entendre chanter quand le vent passe entre leurs branches… Le printemps est un moment privilégié et les mois qui le suivent : le retour des feuilles va enfin pouvoir masquer le vis-à-vis des nouvelles habitations du premier chantier, même si c’est un chouette terrain d’observation… voir grignoter petit à petit les fenêtres et les balcons par le feuillage qui devient de plus en plus dense… en une étrange superposition… et deviner ensuite la vie imaginaire de tous ces habitants… Et puis regarder revenir peu à peu les passants sur le trottoir « d’en face », les joggers, les cyclistes et autres acrobates qui se déplacent sur tous types d’engin… voir les bouchons, embouteillages se former et se déliter suivant l’heure qui passe.. le matin et le soir plus souvent.. et plus souvent tard le soir quand l’autoroute est fermée en été pour travaux… Ce qui va aussi avec les fenêtres qui s’ouvrent pour laisser entendre le bruit animé des conversations, de la musique, de la télé, savoir qui a des visiteurs en arrivant pas à identifier les voitures sur le parking de gauche, ou alors deviner que des clients des restaurants dans la rue auront saisi l’aubaine de venir se garer là, même si c’est interdit… observer les allers et venues des voisins, entendre les bruits du petit matin à tard dans la nuit, d’une porte ou d’un parquet qui grince, d’une porte qu’on ouvre ou qu’on claque, des pas dans l’escalier plus ou moins pressés, des conversations sur le palier, des sonnettes qui annoncent des arrivées, des téléphones qui vibrent ou qui sonnent pour marquer un réveil, de la machine à laver qu’on a lancé la nuit pour faire des économies sans penser aux voisins,…

En hiver quand la neige tombe, trop rarement, les bruits sont étouffés et de façon fugitive la vue et le lieu pourrait être ailleurs.. pas assez de neige et d’enfants néanmoins pour entendre les rires d’une bataille… même si l’hiver dernier l’enfant de gauche a embringué tous les adultes qui l’entourent que ce soit ses parents ou les commis de cuisine de leur restaurant le temps de se courir après et de s’envoyer quelques boules bien fraîches… les toits de la « dépendance » du 1er étage, de la réserve du restaurant et du parking de droite, plus les sols des cours recouverts de neige pendant un instant semblent moins tristes comme habités par un nouvel arrivant, l’accueillant et lui souhaitant de rester… mais tout cela reste trop fugace.. même les insectes, oiseaux et autres habitants animaux non référencés semblent retenir leur respiration.. le bruit des roues des voitures est plus feutré.. tout semble figé, l’espace d’un instant… puis la vie reprend ses droits et tout est vite saccagé, ce blanc immaculé tourne au gris sale que le soleil blanc et froid ne peut pas colorer et faire briller pour faire semblant… L’enfant de droite a laissé un message sur la neige qui disparaît à mesure qu’elle fond, comme une œuvre éphémère…

Quand la nuit tombe, mais surtout au creux de la nuit, et les soirs de pleine Lune, le paysage est tout autre… comme une cinquième saison… le lampadaire qui éclaire la cime de l’arbre d’en face donne l’illusion de l’enflammer, l’immeuble en face semble hanté avec quelques lumières allumées de ci de là , et le bruit presque absent des voitures et des gens… reste le bruissement de la faune composée d’insectes et d’oiseaux qui semblent profiter pleinement de l’absence de l’activité humaine pour s’exprimer et vaquer plus activement à leurs activités… les araignées tissent de jour, mais certaines s’évertuent à vouloir relier l’encadrement de la fenêtre et la fenêtre, inlassablement… les oiseaux servent de marqueurs en s’éveillant avant le soleil, indicateurs de 3 ou 4 heures du matin suivant la période de l’année… plus rarement en journée, c’est le clocher qui n’indique semble-t-il que la marque de 19h, pourquoi ? La pleine Lune habille l’ensemble d’une clarté irréelle, surréelle, redisposant et redécoupant les espaces dans un jeu de clair-obscur pouvant faire croire que tout ce lieu aurait été transporté ailleurs, quelque part du côté des Carpates par exemple… on ne distingue plus très clairement le contours des masses qui se nimbent d’un halo parfois inquiétant…

A propos de Ysa-Lou Sibiline

Je collectionne les mots comme d'autres collectionnent les montres : mais je n'aime pas trop la sensation du temps qui passe ; je lui préfère les sensations tout court : un parfum, une musique, qui évoque tout de suite un moment ou quelqu'un, un souvenir... toutes ces madeleines proustiennes avec ou sans sucre, avec ou sans chocolat, avec du thé, du café ou du lait froid...