#P8-Ode à l’imprésentable

Tu avais pleuré, promis qu’il n’y aurait pas de prochaine fois. Mais elle était restée de marbre, insensible à tes suppliques. Quand tu avais trouvé l’armoire débarrassée de ses nippes et le gamin embarqué dans cette équipée, ton sang n’avait fait qu’un tour. Tes poings avaient cogné la porte de bois, cogné jusqu’à l’ébrécher et laisser tes mains et ton front écorchés. Elle partait à cause de tes nerfs. Tu l’aimais mais tu ne te maîtrisais pas, tu disais.  

Elle fanfaronnait, croyait qu’elle y arriverait toute seule. Et toi, tu avais ton orgueil, tu n’allais quand même pas lui courir après. Tu attendais, le regard sombre, la morosité dans la gorge. Tu savais qu’elle n’avait nulle part où aller, personne pour l’aider. Tu n’étais peut-être pas parfait, mais au moins, tu gardais le gamin pendant qu’elle travaillait à l’Hôtel-Restaurant. Et puis, il y avait ta pension. Tous les mois, tu touchais un peu d’argent pour ce qu’ils t’avaient fait là-bas, en Allemagne. Ce n’était pas grand-chose, mais par les temps qui courent, c’était déjà quelque chose. N’empêche que tu t’ennuyais ferme maintenant qu’elle était partie. Les journées étaient longues, tu traînais, payais des tournées à des types, depensais ton argent du mois. Il y avait d’autres mecs accoudés au comptoir, seuls comme toi, ça vous rapprochait, la solitude. Et on picolait sec, dès le matin, accroché au zinc comme à la barre d’un navire à la destination inconnue. On épongeait ! disaient-ils dans un rire gras. Pour toi, ça faisait juste passer le temps. Tu ne pouvais pas rester enfermé, ce n’était pas la place d’un homme, la maison.

Alors tu commençais de plus en plus tôt. Avec la bouteille. Et tu finissais tard.

Le matin, quand ton corps endoloris émergeait, une masse écrasait ta cervelle. Un tournis d’enfer t’empêchait de tenir debout. L’estomac noué aux entrailles, tanguant et menaçant. Pas de souvenir, rien de ce qui s’était passé les dernières heures, quand tu t’étais avachi tout habillé sur le fauteuil de l’entrée. Alors tu allumais la première d’une longue litanie de gitanes. Et puis, les copains sont partis, mais le petit vin blanc, il est resté.

Elle était revenue. Oh, elle n’était pas allée bien loin. Et tu savais comment lui faire passer l’envie de recommencer. Les quatre mômes suivants, ils étaient venus comme ça. Avec quelques verres dans le nez, tu ne pouvais pas t’en empêcher, il fallait que tu la sorte et la lui mette dans le cul. Ce n’était pas long et puis, c’était ta femme, bon sang ! Tu faisais ce que tu pouvais après tout, ce n’était pas vraiment de ta faute, cette vie-là. On ne t’avait pas appris grand chose, on t’avait jeté là. On ne t’avait pas parlé, on t’avait taloché.  Et puis, ça te rendait fou toutes ces manigances, tu avais ta fierté. Pourquoi rentrait-elle si tard de l’Hôtel-Restaurant ? Est-ce qu’elle copulait là-bas avec ces nantis de clients ? Invalide et cocu, voilà ce que ces salauds ricanaient dans ton dos. Elle allait voir ce qu’elle allait prendre, de quoi lui rappeler qui commandait sous ton toit. Ce sont les gosses qui prévenaient les flics. Même si tu les menaçais, ces sales marmots couraient chez les voisins pour appeler les bleus. En cellule de dégrisement, tu ruminais ta haine pour ta filiation, ils ne perdaient rien pour attendre, les salauds.

Mais ils étaient ton alibi. Avec cinq mioches sur les bras, elle ne mouftait plus, elle ne s’en irait plus nulle part. En tous cas, pas avec les trois franc six sous qu’elle gagnait à l’Hôtel-Restaurant. Tu la savais coincée, alors tu en profitais un peu. Tu lui faisais payer son arrogance du passé. Elle avait perdu de sa superbe maintenant. Tu te demandais même ce qui t’avais plu en elle finalement. Mais on ne quittait pas son mari, non. Même si.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

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