personnages#3, personnages dans une foule (à partir David Foster Wallace)

Une jeune femme me sourit quand je la laisse passer ; le vigile répond à mon bonjour ; cette femme brune qui débouche un peu trop vite sur ma droite m’oblige à faire un petit écart et je manque de heurter son collègue replet, toujours mal rasé, qui arrange un présentoir, les badges sur leurs pulls indiquent leur rang, sans doute chefs de rayons ; un colosse âgé et chevelu s’adresse en rigolant à la vendeuse du rayon boulangerie, il se retourne vers le client suivant comme pour vérifier l’effet de ce qu’il vient de débiter ; une mère assez jeune avec ses enfants, deux garçons, qui la suivent en poussant le chariot, je les recroiserais ; au stand des sushis, les employés sont des femmes d’origines asiatiques et africaines, un jeune blanc bec barbu les supervise, du calot aux chaussures de sécurité, tous sont en blanc ; dans son tablier vert pomme, derrière ses grosses lunettes, la dame de la pesée est un peu débordée face aux mains tendues pour déposer des sachets sur le plateau de sa balance ; pendant que les poissonniers dans leurs tabliers bleu marine avec leurs casquettes de vieux loups de mer s’apostrophent d’un bout à l’autre du rayon, un jeune magasinier assez costaud avec une fine moustache, recharge les bacs de surgelés, il porte des gants spéciaux marrons et un T-shirt, un de ses collègues du même âge aux cheveux blonds rasés sur le côté mais longs sur le dessus, assez enrobé, vient lui glisser un mot, il le regarde durement en retour ; un vieil homme perdu dans son imperméable beige contemple des boîtes de haricots à la tomate ; deux autres magasiniers s’activent accroupis au rayon épicerie bio, l’un explique qu’il préfère commencer par les étages du bas et remonter ensuite « moins pénible pour le dos », je croise la jeune femme de l’entrée, elle ne me sourit plus ; le boucher dans son uniforme bordeaux me demande, avec son accent roulant du sud-ouest, combien de personnes vont se partager les 500 g de bœuf label rouge que je lui commande ; au rayon des produits laitiers, je réalise que je suis déjà depuis un petit moment une mère de famille un peu plus âgée que moi, je décide de la dépasser, elle fait ses courses sans liste et choisit sans hésiter les produits qui finissent dans son chariot ; au rayon des eaux, une mère et son ado de fille débattent sur le nombre de packs à prendre et bloquent l’accès à la palette, le magasinier du rayon me houspille quand il constate que je viens de faire éclater une bouteille en retirant un pack ; la caissière très professionnelle, jusque dans ses propos se dresse sur son tabouret pour vérifier que le fond de mon chariot est bien vide, elle me dit que je peux passer mes sacs et me demande si j’ai la carte de fidélité, j’obtempère et tente de battre le record de vitesse pour décharger le tapis qu’elle bombarde avec mes achats, tout cela sous l’œil du vigile, lui-même relié par oreillette à son collègue derrière les écrans, là-haut ; ils sourient pas trop mes visages dans l’hypermarché de mes samedis matins.

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/