#L3 PHOTO DE FAMILLE

Le fils

Est-ce que je peux avoir un verre de vin ? 0n dirait que je demande la lune, ils me regardent avec un air ahuri. Non, prends un verre d’eau. Est-ce que je peux avoir encore de la viande. Non, reprends des légumes, ne te gave pas de sauce. Et arrête de vider la corbeille à pain, laisses en pour les autres ! je déteste le mot autres, je déteste le mot gras. Gras double, âge ingrat, mardi gras, corps gras, bout de gras… J’ai faim moi. Il ne me reste plus qu’à aller rôder en cuisine  pour finir les verres de champagne chaud et choper deux ou trois restes de galantine. Obligé de pister les restes comme un chien. Il va s’affiner, à la puberté, c’est ce que dit maman. Cette conne en est à son huitième verre de vin, je le sais je les compte. Elle va encore s’écrouler sur la table, la tête entre les bras, ou se mettre à crier sur papa qui va encore en prendre pour son grade. Elle a le vin triste qu’elle dit. Elle a surtout le vin mauvais. Et bien-sûr, papa toujours serviable se dépêche pour prendre la traditionnelle photo de groupe avant que tout le monde soit bourré. Ouistiti ! J’ai pas envie de faire le singe. Quelque part il me fait de la peine. J’ai beau avoir dix ans, je ne suis pas un enfant ! Je n’ai jamais été un enfant.  Pour qui ils se prennent ? Je suis plus intelligent qu’eux tous réunis. J’ai le droit de boire du vin, de baffrer, j’ai tous les droits. Je suis  juge suprême, qui les fera payer pour tout ce qu’ils m’ont volé.   

Le père

C’est un secret, personne ne le sait, c’est la dernière fois que je les prends en photo. Allez, regardez-moi, un petit sourire, comme chaque année le jour de leur anniversaire, mes beaux parents rayonnent. Ils sont nés le même jour, enfin presque, du coup on fête les deux en même temps, c’est plus pratique. Toute la famille de ma femme est là.  J’ai rien dit à Oriane, j’ai pas eu le courage même si j’ai imaginé mille fois sa tête quand je lui annonce bye bye je te quitte. C’est demain le grand saut. Ma vie, la vraie, m’attend depuis des années déjà, une autre ville, une autre femme. Finalement ils sont plutôt sympas mes beaux-parents, les frères et sœurs de ma femme aussi, ils rient de toutes leurs dents, ils ont l’air contents que je les prenne en photo. Je les regretterai presque, C’est l’effet « Avant de nous dire adieu » sans doute. J’ai rien dit à mon fils non plus. Je ne sais jamais quoi lui dire à ce gamin, j’ai l’impression que ce n’est pas le mien. Je sais que c’est vache de le laisser seul avec Orianne mais j’en peux plus, il faut que je parte loin d’eux, loin de cette lie. Il comprendra j’en suis sûr. 

La mère 

Houlala, j’ai même pas eu le temps de me remettre du rouge à lèvres, je vais avoir l’air de quoi sur la photo. Remarque, à côté de ma petite belle-sœur enceinte jusqu’aux yeux de triplés, au moins , comparée à mes sœurs  fagotées comme l’as de pique et  mes nièces couvertes d’acné, j’ai pas de mal à être la plus canon. Je vois bien comment mon beau-frère me reluque, c’en est presque indécent. D’ailleurs il faut que je lui parle à celui-là, il laisse ses garçons traiter mon fils de petit gros, entre cousins ça se fait pas !