#photof/r/ictions #03 | diapositive

Il y faut l’écran blanc, à l’arrière – ouvrir un document vide du traitement de texte (ça ne se dit plus) et poser la diapositive sur le petit rebord, prendre la photo – à l’écran existe toujours un petit rebord – retourner et prendre la photo – avant ça aller la chercher dans le portefeuille, dans la poche poitrine intérieure de la veste pendue à la poignée de la porte sur un cintre, dans le couloir qui va aux chambres – au dessus du cœur sûrement – on pourrait aussi bien poser l’inventaire de ce qui se trouve dans ces morceaux de cuir marron cousus entre eux les uns aux autres faisant poches plastique transparent un bouton pression pour fermer cette petite poche sans doute en pensant aux pièces d’un porte-monnaie – pour partir dans tous les sens, on pourrait aussi dire qu’il ne s’y trouve jamais de billet de banque, jamais d’argent dans le portefeuille, des pièces d’identité oui, c’est le même mot – des billets de musées oui – autre chose certainement des petits objets – mais non – c’est pousser un peu loin le bouchon que de poser une photo de soi (d’ailleurs rien n’y oblige) – je n’en pose jamais, ni de mes proches, au grand jamais, j’y vois quelque chose comme de l’impudeur ou de l’obscénité – en cherchant tu trouverais certainement mes parents et mon grand-père disparu assassiné certes – c’est la loi (il y aurait bien des abrutis de contemporains qui intituleraient ce travail sortir de sa zone de confort – SDSZDC – saloperie de mot d’ordre, pourriture des mots tout court et tout faits, ordure des stéréotypes – il y aurait certainement des contemporains pour le dire – et l’écrire, certes) mais non, simplement deux images, l’une

face

puis l’autre, des mots rajoutés (des chiffres sur le côté face (il s’agit de la date de la prise de vue), un coup de tampon de l’auteure, ainsi que le c entouré d’un rond marquant le copyright –

pile

ce cadeau magnifique qu’elle me fît un jour; la première fois que nous nous rencontrâmes, je me souviens de son sourire – il me semble bien que j’étais comme un peu à mon habitude (un pli que j’avais pris en comptant les entrants, fin quatre-vingt-huit) sur le petit promontoire, ce praticable de ferraille, trois ou quatre (y’en a 8, image d’entrée) marches au dessus de la passerelle – non, plus précisément j’étais debout à mi-chemin en descendant vers la rive qui porte la porte de Pantin et j’observai le travail qu’elle faisait (elle travaillait, ça se voyait) – elle avait rangé son appareil, elle se retournait et je l’ai abordée ; il y avait dans le protocole de ce travail un versant où on proposait aux enquêté.es (ça n’a pas très bien marché) un appareil de vingt-quatre poses, jetable, du grand frère jaune et à charge à eux et elles de faire des images, de nous rendre le truc : on ferait développer le bazar, ils (ou elles) en auraient un jeu en cadeau – je lui expliquai ce processus, elle souriait en m’écoutant, je me souviens de son sourire comme d’hier – mais je travaille ici dit-elle, son accent (elle a peut-être bien laissé passer un « you know » à ce moment-là), mon rire me sachant découvert tu sais comment c’est – oui je sais bien, on est devenus amis immédiatement – et puis le temps est passé, je lui envoie mes vœux, elle me répond – un jour je l’ai vue présenter un de ses livres dans une librairie spécialisée proche de Saint-Sulpice, je l’ai entendue dans le poste parler de son travail – elle me fait penser à ma prof d’ethno (je l’aime aussi toujours) qui me disait « la vie est difficile quand on est exigeant », son travail sur les marchés de Carpentras – enfin cette amie donc là, assise sur le bord du quai, et moi sur mes coudes, allongé, qui lui souris – tu vois le travail ?

je me suis demandé un moment s'il (me) fallait ou pas mettre les images - illustres - ça apporte la preuve de l'existence mais qu'est-ce que ça peut faire ? Ça affaiblit ou ça donne de l'ampleur - et puis ça change du texte - et puis je les ai laissées (un peu à la manière de la bande son)
-les images parfois prennent aussi le pouvoir (j'aime assez, j'oublie et je pense plus facilement aux rêves)
- à propos des liens, je n'en mets pas mais il se pourrait d'en poser un peu partout (pudeur ou volonté de perdre (ou de cacher et taire) et les deux)
(bande son Balavoine aimer est plus fort que d'être aimé oui enfin bof le parc Belmont Diane Dufresne (où j'aime beaucoup la liaison qu'entre "fait" et "au monde" elle fait dans "qu'est-ce que j'ai fait au monde") (sinon j'ai des difficultés avec cette chanson-là) mots bleus (Bashung) mains d'or (Lavilliers) business man (Dubois) etc...
ça divague un peu : il y a deux possibilités minimum en réalité dans l'atelier (ici, je veux dire) : celle du journal emprisonné (qui transparaît un peu au #2 d'ici photofiction : un des chantiers en cours), et l'autre qui se fait jour ici, celle du travail mené il y a déjà quelques années (les quarante cinq jours de l'été dix-huit - qu'il (me) faudrait relire) - un "vrai" travail (les guillemets puisque tous les travaux sont vrais - mais l'ampleur de celui-ci me paraît excessive - j'y voudrais poser les textes écrits alors : les relisant (parce que c'est un des pains qui se trouvent sur la planche) j'y découvre l'aspect par trop polémique (dire (écrire et donc m'approprier) que des moines bouddhistes sont des "largués" (c'est le mot d'un des types abordés à cette occasion - mandala quatre-vingt-quinze) - RAF* c'est vrai mais quand même (encore que) (enfin je tergiverse) c'est un peu excessif, et le pensé-je vraiment aujourd'hui ? mais peut-être bien, oui) 
- pour revenir aux guillemets, il y aurait aussi dans cet aspect-là quelque chose qui se mettrait en relation avec l'argent qu'on gagne à travailler - et qui en fait pour partie un travail vrai justement - je lisais tout à l'heure quelque chose sur le racisme, qui va jusqu'à donner l'ordre aux racisés eux-mêmes de se trouver du côté de ceux qui les dominent et les ostracisent (le fait pour des enfants noirs de préférer, quand on les somme de choisir, des poupées blanches à des noires, par exemple) : il y a quelque chose aussi qui se transforme, qui se dévoile, quelque chose que l'écriture n'aborde pas sinon en filigrane, en communication inconsciente - par les exemples (ici, le portefeuille) 
- il y aura enfin quelque chose qui montre que l'image bien qu'honnie haïe détestée parfois par les lettrés porte en elle (même s'il s'agit d'un jeu de mot - de sens) quelque chose d'illustre, donc de noble disons - quelque chose que le mot ne porte pas nécessairement (surtout, par exemple, s'il est gros...)    
  • *RAF: rien à foutre

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

20 commentaires à propos de “#photof/r/ictions #03 | diapositive”

  1. Moi j’aime bien ces diapos éclairés par l’écran comme ça de traviole, tes acronymes à toi, et puis cette façon d’écrire comme si de rien, de nous faire suivre ce couloir, la visite dans la poche et d’une idée l’autre, la rencontre avec la big photographe…

  2. il y a quelque chose d’une nostalgie sans sirop qui me plaît, quelque chose de rentré, comme dans la relation d’amitié à peine esquissée dans le texte, quelques mots rares et la sensation d’une grande profondeur. J’aime assez cette économie et cette tension.

  3. « je me suis demandé un moment s’il (me) fallait ou pas mettre les images – illustres – ça apporte la preuve de l’existence mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ça affaiblit ou ça donne de l’ampleur – et puis ça change du texte – et puis je les ai laissées » je me suis posé la même question je n’ai pas mis l’image… le choix que tu fais ici ( la diapo objet recto verso avec les bords et les lettres (bande son en couleur) ) « illustre » très bien la question … la diapo objet ici n’expose pas, elle accompagne…

  4. oui on a le même problème (si c’en est un) (je me disais à cause du numéro dans le titre que tu la pos(t)erais plus tard) (il y a de l’exposition quand même mais comme ça a eu lieu au siècle dernier, c’est à moitié pardonné…) merci à toi

  5. J’apprécie le déséquilibre apporté par la longueur des notes « subsidiaires » : il s’y passe plein de choses, autant que dans les textes auxquels ils se refèrent. Question de l’image-illustre personnage et du texte comme en mal de forme…

    • Merci de lire – mais c’est une vraie question (comme on dit dans le poste quand on ne sait pas répondre et qu’on veut flatter « c’est une bonne question ») (et je vous remercie de me la poser mais avant je voudrais préciser quelque chose) – c’est surtout, j’ai l’impression, surtout une question de forme (blog; informatique; mot de passe; internet; connexion etc…) (encore merci)

  6. Tu me laisses à chaque fois sans voix tant tes souvenirs sont complexes, plein de célébrités, de flou et d’émotion. Photographié et ami de Jane Evelyn Atwood, un titre. Bien sûr qu’il fallait mettre la photo ou peut-être pas (je vais un jour savoir parler de PCA).Amitiés.

    • Merci à toi de lire (il y a beaucoup de célébrités qui n’en sont que par pure fantasme tu sais bien) – mais les souvenirs « complexes » comme tu dis, c’est juste que je ne cesse pas de les travailler – après pour poser ou pas la pĥoto, la question est grave et soulevée par mesdames Holt et Euzenn (qu’on salue encore) mais elle ne peut pas se résoudre (ça me fait penser à la différence qu’on cherche à faire entre amateur.e et professionnel.le : la poser, cette différence c’est déjà tomber dans l’erreur – un peu comme aussi subjectif et objectif : en vrai OSEFU2P – je traduis en hommage à madame Plée : « on s’en fout un petit peu ») mais PCA ?)

  7. ne sais ce qui est le plus important le texte ou la belle méditation en codicille… l’avais loupé en cherchant à me lancer (pas avec même travail) et pourtant c’est juste sous celui d’Ugo…
    en dehors du sujet du texte, je crois finalement que c’est la suite (et puis les commentaires)

  8. par le petit bout je prends « ça divague un peu » mais comment dire autrement que la vie c’est toujours et encore plus grand et c’est ça ces textes – des fenêtres sur la vie dans un train qui file.

  9. toujours cette étonnante prolixité dans tes textes, cher Piero, et tu nous embarques complètement avec ce passé simple dans une histoire douce qui a laissé des traces
    c’est doux et fort à la fois
    et pour répondre à la question de la nécessité des images, la présence des diapos cartons marqués de lettres et autres signes et taches laissées par l’usage est bienvenue, voire nécessaire

  10. Je suis pour la photo de la photo ! Pour une fois que je tranche. Lol. Très admirative de ce cheminement que tu nous donnes et qu’on suit avec intérêt et émotion. Le ton toujours ce dévoilé qui ne révèle jamais assez, cette pudeur au-delà de ce que tu en dis. Est-ce que cela fait partie d’un chantier ? Pardon de poser la question, alors qu’à te lire davantage on devrait le savoir. Bref j’aimerais bien plus encore. Merci Piero.

  11. Oui l’effet fou de retrouver des clichés oubliés, antiques, et la pose en couleurs lointaines fabriquent un ersatz de statue romaine, champ blanc au fond, et ces trésors d’inventivité narrative (champ de la recherche), c’est tellement fougueux