#photofictions #01 | Studio 54

elle est sur un mur de la ville. (sur comme on dirait à propos – c’est donc une photo prise à propos d’un mur de la ville. mais c’est aussi une photo sur un mur – comme cet été à la Gacilly. le village entier peuplé de photographies, sur les façades, les murs, aussi sillonner des chemins entre d’immenses panneaux. dans les rues, sous les arbres, marcher dans la fourmilière d’images…)

avec C. on a à moitié planifié. moitié pour les envies, moitié pour l’improvisation, le hasard. on verra bien ce qui nous prend. au château l’expo-photo de Charles Fréger – les mascarades et rites d’Aam Aastha (magnifiques ! – la surprise des commentaires inespérés de la conservatrice, venez il faut au moins que je vous parle de celle-là … (et puis celle-là et puis l’autre…) vous connaissez bien l’Inde à la façon passionnée dont vous en parlez ?  – moi non, pas du tout, jamais allée ! mais c’est des mois de recherche, des mois ! l’artiste ne voulait rien expliquer – les photos uniquement les photos, il veut qu’on les aime parce que c’est beau) – le musée, l’endroit où c’est bien de manger au bord de la Loire dans l’ancien quartier des huileries à Chanteney – l’hôtel le parking où laisser la voiture pendant les deux jours à venir. on marchera c’est mieux pour voir – sentir. fatigués on prendra le tramway (transports en commun gratuits le week-end, sur les abribus les affiches « on l’a fait ») on traversera sur les rails encastrés en se dépêchant au ding ding, on ira dans les rues de la vieille ville sous les carlingues des avions à rase-clochers…

une des villes dans lesquelles on vit le mieux – elle est en tête du classement – où elle y trônait récemment. je n’ai pas vérifié ce qui semble bien établi pour tout le monde. je n’ai pas non plus cherché précisément les critères du comment c’est le vivre mieux ni pour qui. quand nous sommes revenus d’avoir longuement marché, j’ai lu ici, le lendemain, (par hasard), l’article qui racontait dans un autre quartier un ancien vivant (anonyme – adulte – homme) devenu mort. poignardé. à l’aine je crois. vidé. ça non plus je n’ai pas cherché davantage. ni les pourquoi ni les comment. garder la date du trois ou quatre septembre 2022 et puis Nantes si jamais plus tard. mais c’est comme souvent : les évènements les détails les envies les idées les noms tout s’accumule. un temps. ça grouille s’embrouille et puis ça disparaît. tu devrais noter une m’a dit il n’y a pas si longtemps – (parfois je le fais et puis j’oublie ou je multiplie les carnets et je ne retrouve plus rien) – sinon tu le perds elle a ajouté. oui. mais c’est comme dire l’écrire se fabrique en écrivant – le photographier en photographiant – le garder en notant (ou enregistrant) – aussitôt à quoi bon quel intérêt ? je ne comprends plus rien. si la vie s’y agrandit ou bien s’éloigne – si c’est passer à côté des choses et des gens ou manière de traîner avec, s’accrocher, se raccrocher un peu encore à eux. (prêter attention forte.)

nous aimons bien y venir. pas très loin de la photo, après le passage Sainte Croix c’est le marché aux livres. sur la pile un de Gracq : la forme d’une ville chez Corti, pages non massicotées… un passage où il décrit comment chacun se construit avec sa ville intérieure. en répétant rêvant les déplacements du quotidien. en allant au lycée, chez les commerçants. en flânant dans les ruelles de promenades etc… nous aimons bien y venir – l’apprendre au hasard en suivant-lâchant les courbes de la ligne verte, retrouver des lieux et trajets maintenant connus – ajouter de nouvelles divagations et étendre progressivement le territoire – mêlé dans la foule des rues entre les tables des terrasses entendre rire crier parler des bouts de conversation non mais t’y crois toi… j’aime bien y venir mais je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi. chaque fois je prends l’appareil photo parce que c’est en photographiant qu’etc… c’est un hybride (plus léger) avec souvent le 14-45mm, assez polyvalent pour la ville, dans le sac à dos un 70-200 mm (peu utilisé), pour l’obscurité un 22 mm avec une plus grande ouverture. maintenant je trouve que tout ça est encore un peu lourd – encore plus toute la journée quand il a fait si chaud – je constate le vieillir à la douleur dans la nuque et les épaules.

 (mais j’aimerais tant une photo infinie de la peau de la ville – j’aimerais une image pour s’y frotter – comme gamin la serviette encore rêche essuie le visage – sentir le grain de lumière – l’odeur la couleur des pensées – le soleil dans les verres de bière – la place où le grand type noir à dents d’alcool et de rire parle tout seul et chante en se balançant assis sur la palette – chante et tangue une langue que je ne connais pas et je n’ai pas osé…) (il ne te rappelle rien ? – bien sûr que si c’est un peu le Frenchie de Khalik Allah.)

Il fait salement chaud à la terrasse du café. (le café du coin – rue de la juiverie). bondés. le café et la rue. un paroxysme d’ambivalence (si je peux dire ça après tout…) attirance et phobie de la foule étroitement mêlées – d’où ces incursions répétées – mais brèves. vibrer dans le flux, la masse la cohue. disparaître aux marges. flotter. tenir encore un peu dans l’entre-deux – fakir sur pointes nourricières (vivre là parmi les autres mais toujours si loin.) l’appareil photo est posé sur la table. je l’ai d’abord vue en arrivant, dressée au-dessus des têtes, peinte en grand format sur la façade de l’immeuble. une femme. elle est habillée d’un autre temps. une robe pas d’aujourd’hui. dans des tons arrachés à la pierre. presque sculpture. Nantes c’est comme ça. des apparitions à aller chercher – savoir trouver – plus souvent te tombent dessus au rythme des installations sculptures graphes – les officiels et les autres… nous sommes assis. elle me regarde en coin. dessous, à gauche, un passage sous l’arche de pierre. un écriteau pointe, plus haut, vers une « jungle urbaine » – nous la connaissons : un fouillis de jardins sauvages grimpés jusqu’aux fenêtres, une petite plate-forme en fer rouillé à mi-hauteur. (je crois.) un enfant déguisé en pirate (bandeau noir, bicorne) dévale les deux trois marches, remonte vers la poussette. Je m’y prends à plusieurs reprises pour (mal) cadrer la photo mais trop de foule de tables de chaises plus assez d’espace même avec le 50mm. en regardant mieux c’est une vieille affiche déchirée. en bas juste sur la griffe des grilles ça fait une saignée de blanc en zig zag – un éclair. une décriture d’image c’est ça qui me vient. la femme se tient, effrayée. rencognée contre la pile de pierre. à ses pieds l’encombrement meuble (chaise tressée ? table basse ?) corps à la renverse. un bras traverse les barreaux. elle l’a tué ?

13 commentaires à propos de “#photofictions #01 | Studio 54”

  1. Étonnant de voir là ces parcours que je connais par coeur. Belle lecture. La juxtaposition des sons, des images, des lignes, des formes dans la même bouillie bien sûr. On la retrouve à l’orée du sommeil cette égalisation, tout est égal et s’englue, et tout est en même tant bizarrement anguleux, trop sonore. On la retrouve aussi dans la nostalgie. Comme un jour trop chaud, où ça sue un peu. Il y a quelque chose dans ces mots de celui qui regarde, accueille, ou plutôt se laisse pénétrer, il y a quelque chose aussi qui rejette. Alors une perception comme maritime peut-être, en vagues un peu paresseuses, dans le ton ça gronde et ça abdique. Bref. Il m’a plu ce texte.

  2. Belle divagation. On se laisse étrangement emporter par le mouvement. Je connais si peu Nantes mais je reconnais si bien le regard qu’on promène en ville. J’ai aimé.

  3. « (mais j’aimerais tant une photo infinie de la peau de la ville – j’aimerais une image pour s’y frotter – comme gamin la serviette encore rêche essuie le visage – sentir le grain de lumière – » une photo infinie … merci pour: traverser, flâner, rêver, dériver … à propos d’elle

  4. C’est une profusion de dons : la ville, les différentes façons de la capter, la vie qui y coule. Beaucoup aimé la manière dont tout s’entrecoise, comme si les mots étaient au près possible des choses au point de les toucher. Merci pour ces beaux textes !