#photofictions #01 | comme des notes

Penchée vers son livre ouvert sur ses cuisses, elle lit. Seule sur un rocher du ruisseau artificiel qui coupe le bas de la pelouse en pente. Son sac en tissu est posé à côté d’elle. Elle est vêtue d’une robe sombre à motifs floraux et de sandales noires. Hors champ, trois ou quatre jeunes enfants s’ébattent près de l’eau, quelques parents sont assis sur l’herbe. Elle lit. Des corneilles survolent le parc. Il y a comme un mélange d’abandon et d’attention dans son corps qui lit. Et pour moi qui passe, l’envie irrésistible de capter cet instant de concentration intense.

© Muriel Boussarie, Paris, septembre 2022

Énorme feuille gaufrée, échancrée, aux nervures profondes. Une des feuilles du bouquet de Gunnéra tinctoria ou rhubarbe géante du Chili, planté au milieu de la pelouse. Contraste entre la profusion tropicale des feuilles géantes et la surface lisse de la pelouse soignée. Contraste entre le calme de la pelouse (qu’on n’aperçoit pas sur la photo) et le tourbillon immobile des énormes feuilles. Sous terre, les rhizomes de la Gunnéra tinctoria, plante invasive, commencent à se ramifier et à s’étendre.

© Muriel Boussarie, Angers, septembre 2022.

Assise sur un banc, entièrement vêtue de blanc, robe longue et turban. Face au soleil déclinant, encore très fort. Tout autour l’emmêlement des branches, le foisonnement des feuilles encore vertes mais fatiguées et derrière elle l’ombre de troncs puissants. Sa présence a quelque chose d’une apparition, à la frontière du réel.

© Muriel Boussarie, Paris, septembre 2022.
La plupart du temps, je prends des photos comme des notes, quand je marche, avec mon téléphone (Sony xperia Z2). Sans rien préméditer, juste pour me souvenir plus tard de la sensation qui m’a saisie sur l’instant. Et souvent ces photos, comme celles-ci prises au parc où je vais me dégourdir les jambes après des heures immobile devant l’ordi, je les décolore. Je les décolore – une manie – pour les rapprocher de la sensation furtive que j’ai éprouvée en les prenant, comme pour presser leurs lignes, leurs formes, les amener près d’une synthèse, d’une épure. Pour faire surgir ce qu’elles ont à me dire. Avec l'idée d'une présence à saisir au bord du réel.

A propos de Muriel Boussarie

Depuis un été fantastique - 2015 - je participe souvent aux ateliers de François Bon et j'y reviens toujours (presque).

23 commentaires à propos de “#photofictions #01 | comme des notes”

  1. Bonjour Muriel
    Super photos auxquelles la décoloration va très bien !
    Tes textes nous entraînent avec toi pour la captation de ces moments rares.
    Merci !

    • Bonjour Fil !
      Heureuse de te retrouver. Figure toi que c’est ton texte qui m’a donné envie de participer à l’atelier (alors que très peu de temps en ce moment).
      Merci pour ton retour !

  2. Trois photos comme un mystère saisi, mais non dévoilé, et les textes qui les enrobent de poésie. Merci, Muriel !

    • Bonjour Helena, je suis ravie de te retrouver.
      C’est exactement ce que tu écris « un mystère saisi mais non dévoilé ». Merci de cette lecture !

  3. Ces photos de femmes/ feuilles sont magnifiques, les textes qui les accompagnent aussi. J’aime beaucoup l’intrusion discrète de la narratrice-photographe, en italiques, pour préserver la distance.

  4. Deux lectrices concentrées qui ne se connaissent pas. La décoloration, la recherche d’une épure révèlent leur essence.
    La feuille de Gunnera tinctoria et ses ramifications ne relieraient-elles pas ces deux lectrices ?
    J’aime beaucoup ces textes

    • En effet, les rhizomes de Gunnera tinctoria pourraient secrètement relier ces deux femmes… Merci Huguette pour votre passage ici.

  5. Merci pour les images et le texte. J’ai une fascination pour cette prise de vue: prendre sans être vu; saisir, s’emparer de leur image à leur insu. Et ces corps qui se fondent dans le décor, c’est magnifique.

    • C’est toujours délicat de prendre en photo quelqu’un à son insu… Merci beaucoup Irène pour votre retour auquel je suis très sensible.

  6. J’étais dans les notes moi aussi, je suis passée lire. Faire sentir une dimension de présence à travers les matières, les espaces, les silhouettes – observer en épaisseur et économie de mots. Quelques impressions qui ont habité ma lecture ici. Chouette travail, merci.

    • Merci Nolwenn d’être passée me lire et d’avoir ressenti cette impression de matière et de présence que je cherche à transmettre.

  7. J’aime beaucoup ces photos pleines de mystère qui me font penser au film Blow up peut être à cause de l’omniprésence des feuillages qui cachent peut-être le secret que ces silhouettes manifestent. Belle entrée en matière!

  8. Tout est beau, les photos d’une teinte qui unifie l’ensemble et j’apprends qu’il s’agit de décoloration, un vert entre feuillage et métal, qui entretient le mystère comme les personnages féminins présentés de dos, la présence discrète du photographe comme dit plus haut, et l’encadré et police du codicille. Merci Muriel.