#photofictions #02 | Alentours : les invisibles du parking

Vous photographier pour vous rendre visibles, un peu comme un photographe de guerre mais ici et maintenant, sur le parking de l’hypermarché. Vous rencontrer par l’intermédiaire de celui des vôtres qui, le dimanche après-midi quand tout est passé en automatique, arpente avec un jerrican les pistes de la station service en quête d’un peu de diesel. Ensuite, contact établi, prendre le temps de faire votre connaissance, gagner votre confiance. Vous demander l’autorisation pour ce reportage, vous les invisibles du parking de l’hypermarché. Non seulement je ne suis pas reporter mais surtout, ce courage d’aller vers vous, je ne l’ai pas. Alors, ces photos, les voler. Arriver dans le grand centre commercial aux heures creuses. Matin ou milieu d’après-midi. S’attabler au fast-food avec boisson et aliment cartons. Choisir une place contre la vitrine. Peut-être une table haute en terrasse si le temps le permet. Utiliser le téléphone. Le téléphone pour photographier. Non pas pour vous photographier vous, ici dans votre vie quotidienne mais immortaliser vos vieilles camionnettes et vos vieux fourgons éparpillés sur le parking. Traces de votre présence discrète au milieu des allées et venues de la clientèle. Pendant le confinement, le COVID vous a chassé – pour où ? –, puis vous êtes revenus, les invisibles du grand parking de l’hyper. Après peut-être lancer les photos sur la toile  ? Les envoyer au journal local ? Ne jamais les prendre ces photos et préférer en rester aux mots pour dire votre présence et notre indifférence fracassée sur l’épaisseur de la vitre d’un fast-food ?

Le parking. Ciel trop lumineux, laiteux, aucune ombre. Sous un arbre rachitique, de face, un fourgon blanc rouillé, cabossé. Les portes arrières, grandes ouvertes, dépassent de la caisse. À l’avant, côté conducteur, un homme regarde dans le rétroviseur et se recoiffe. De l’autre côté, un gosse de dos, pisse contre l’arbre.

Le parking. Même lumière. Vue en biais. Une camionnette de la Poste réformée, presque épave. Côté conducteur un petit gosse hirsute passe le haut du torse par la fenêtre ouverte. Dans sa main, un gobelet en carton petit modèle fermé par un capuchon blanc. Logo du fast-food. Un matelas est appuyé face au soleil contre la caisse du véhicule.

Le parking. Zoom flou. Autour du capot ouvert d’un vieux monospace bleu marine délavé, un groupe de six hommes. Deux sont penchés vers l’avant, les mains dans le moteur. Derrière, avec ses couleurs jaunes et rouges criardes, la structure d’un tunnel de lavage automobile.

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

4 commentaires à propos de “#photofictions #02 | Alentours : les invisibles du parking”

  1. Bonjour Jérôme
    Merci pour ce beau texte sensible et poétique.
    (Il me semble reconnaître ce parking que tu as déjà évoqué je crois…)

  2. c’est vrai Jérôme, grâce à tes mots et tes phrases, je les ai vues exactement les situations que tu as décrites, merci aussi pour la réflexion sur la photographie de rue….

  3. Intéressant. Un peu de mal avec « l’indifférence fracassée », trop explicite pour que cela me touche, je me dis en effet que le style seul permet de la décrire, dans sa tension et sa distance, sans qu’on la mentionne, mais ce type d’appréciation est très lié à la personne qui lit. Belle juxtaposition de scénettes à la fin, comme un effet de stroboscope. On pourrait en avoir dix comme ça, on ne se lasserait pas. Grande ambiguïté de cette scission immédiate et marquée entre le « eux » et le « nous ». Elle me dérange, mais je ne saurais trop expliquer pourquoi.

  4. Merci pour le temps passé à lire et commenter !
    @ Fil : merci lecteur assidu des ateliers. Déjà évoqué à deux reprises celles et ceux du parking, et effectivement pour les 40 jours.
    @ Cécile : pas le cran moi, dans la rue avec un appareil pour photographier les visages. Photographe sans appareil ?
    @ Marion T : merci pour la finesse du commentaire. « L’indifférence fracassée », ajoutée à la relecture avant mise en ligne. Trop lourd, trop didactique, je me bats justement contre ça ! J’ai effectivement cédé à la facilité de la formule qui claque. Des gros doutes aussi sur le titre. Mon malaise à constater cette scission qui monte autour.