#photofictions #05 | après coup

Le film s’est écrit à partir de photographies prises sans l’idée même d’un film le 30 septembre 2022 entre 17H50 et 18H15 sur l’esplanade du Trocadéro. Une femme a photographié les gens qui se trouvaient là, tous lui étaient inconnus. C’est un film comme un rendez-vous manqué avec ceux qui passaient, simples traces de ce jour-là sur ses photographies, des images que le film ne montre pas et sur lesquelles s’appuie la mémoire (l’idée de diaporama a été abandonnée en cours de montage). Dans le film on ne voit que le lieu désert, l’esplanade et la tour puddlée de 1889, le ciel zébré de roses. C’est filmé un vendredi de mai à l’aube, avec une Steadicam et un téléphone portable: dix-sept-minutes de l’esplanade déserte. En voix off c’est elle, la femme qui avait photographié, elle parle du dedans de ses images absentes: elle se souvient de ce vendredi de septembre,et remonte en amont des photographies: j’ai roulé en patin sur l’esplanade en 1965, dit la voix, j’ai déambulé et chahuté et ri devant les vitrines du musée de l’homme en 1969, j’ai vendu des abonnements de théâtre en haut des marches du palais, celui de gauche en regardant la Seine c’était en 1980, je me souviens avoir dessinés des figures de proue dans le musée de la marine, d’avoir attendu assise sur les marches au soleil en regardant les bassins, elle se souvient aussi de photographies d’enfants sur leurs lits de mort ( une exposition dont elle a tout oublié sauf leurs visages masques, leurs mains jointes, la blancheur de leurs chemises brodées et celle des fleurs tressées)… elle dit avoir acheté un chapeau pour quelqu’un dans une des échoppes garée sur le trottoir… on entend d’autres voix : une responsable des bâtiments français, un chef de chantier — ces travaux des terrasses qui descendent vers la Seine, une palissade barre la vue à hauteur du premier étage de la tour…—, celle d’un marchand de gaufres qui gare son camion sur l’esplanade huit mois par ans… On entend des pas, juste une ombre elle passe… on entend ce bruit d’ailes, les mouettes, leur cris… le ciel blanchit, une voiture balai entre dans l’image.

Ce vendredi, le dernier de septembre, ils ont fait le voyage pour voir la tour puddlée de 1889: 300 mètres. — D’autres sont venus défiler dans leurs costumes d’apparat: robes longues toutes les mêmes à quelques détails près, comme un chœur d’opéra, toutes de verts imprimés d’or, avec leurs colliers et pendants d’oreilles en spirales dentées et d’incroyables coiffes, ces arrangement de tubes de paille, de rubans de bambou, de plumes et de fleurs de papier, chapeau qui donnent aux tête un air de champ de course ou de Buckingham Palace; mais les visages à la Gauguin, les décolletés et les avant-bras parcourus de tatouages bleu sombre, emportent vers des mers indigo. Celui-là qui porte un costume trois pièce et des lunettes noires— on cherche l’oreillette d’agent de sécurité rapprochée. Et ce couple de mariés posant pour la photo, ils regardent la tour, on les voit de dos ( cette noce comme téléportée d’un belvédère d’Istanbul ) avec l’enfant d’honneur au boléro de plumes, la robe acrylique et le voile lestée de strass sous le bouquet de cœurs rouges. Il y a le photographe photographiant, chauve en gilet matelassé, et le marchand de souvenir sans papiers de ce jour-là, très grand, penché sur les tours miniatures et les portes-clés clignotant. Celle campée dans une jupe paille qui photographie jambes écartées, on ne saura pas si c’est la tour ou le couple de mariés qu’elle saisit avec son téléphone, quelqu’un accroche un cadenas à la grande palissade qui protège les travaux (les terrasses et les escaliers les bassins en espalier vers la Seine ) on a ménagé une fenêtre grillagée pour voir au-delà, ils accrochent et regardent … l’enfant ferme les yeux, l’homme au masque chirurgical marche vers la bouche de métro, la main gantée hisse l’I.phone au dessus des têtes… vers le nuage parme ou vers ce ballon qui se détache du bouquet de la noce…

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

5 commentaires à propos de “#photofictions #05 | après coup”

  1. « un film comme un rendez-vous manqué » Merci Nathalie Holt pour cette voix off « du dedans des images absentes ». Envoûtante, attirante mise en abîme qui ne met rien à distance, nous approche au contraire des hors-champs que la mémoire n’oublie jamais. Merci Nathalie.

  2. Il me semble que les statues dorées de part et d’autre de l’esplanade sourient un peu voyant ces enfants qui jouent – peut-êþe aussi pour ces images de mariage (« c’est le plus beau jour de ma vie » chante Trenet pour continuer « J’ai retrouve mon chapeau »)