#photofictions #09 | Sans fin ce vague chant

Atlas des régions naturelles – Mots clés : Terrain vague 2021 Hiver Lille Blois Flandre romane

La suivre partout… Il fallait la suivre partout. Alors il a cavalé. Le long du canal. Elle disait serti d’ordures… serti, elle disait. Elle disait faut aller dans les coupe gorge. Elle disait faut toujours aller y voir de l’autre côté. Alors il a cavalé. Il attendait, il attendait. Elle disait, il faut aller voir les débris, les carreaux cassés. Il avait mal aux pieds avec son vieux grand corps. Mais il a cavalé. Elle disait dix kilomètres, c’est rien. Ça faisait déjà quinze. Le canal, les ornières, les pavés mal scellés, le pied qui bute, le genou qui flanche, la décharge, le cimetière, le portail défoncé, la rouille, la centrale à charbon, deux trois fumeurs de crack aussi, des silhouettes éteintes. Lui il attendait. Elle le regardait pas. Les deux petites jambes, une deux une deux et l’espoir de ces fesses qui devaient être rondes dites, rondes et fermes à tant cavaler. Il savait pas lui qu’il y en avait eu bien d’autres des comme lui à cavaler. Elle disait regarde, la nuit tombe, les réverbères s’allument, on va voir les reflets des néons dans les flaques. Il y a la petite silhouette agitée et le grand silence mou. C’est son grand silence mou à lui. Il se dit au bout peut-être, la récompense, un visage qui se tourne, un corps qui s’affaisse, un peu de chaud, un peu d’haleine, dans le terrain vague pourri, dans l’odeur d’eau croupie, un relent d’ambre au moins, une fragrance sucrée. Elle prend de la distance. Elle se fout qu’il la suive. Elle le sème. Il ne se souvient plus bien du chemin. Elle va le laisser crever là, dans le froid, dans le glauque. La petite silhouette emprunte le pont déglingué, se fond dans la nuit. Le grand con s’affale sur les marches et son désir blanc. A l’horizon nulle paire de fesses, même pas la lune en haut.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

12 commentaires à propos de “#photofictions #09 | Sans fin ce vague chant”

    • Merci, à la base c’est censé être plutôt burlesque avec un prétendant transi qui court après sa pépette, qui elle n’a aucune intention de lâcher quoi que ce soit, même pas une oeillade… en tout cas pas avant trente bornes de poursuite.

    • Merci Nathalie… alors alors alors… c’était censé être rigolo et c’est flippant… Bon à savoir… « Le temps me berce de paresse / Alors je chante sans fin ce vague chant : / Les jeux de l’amour sont comm’ les jeux du hasard / Qui rêve de coeur souvent est servi de pique noir / Qui cherche un regard reçoit des rires moqueurs »

  1. Elle disait regarde, la nuit tombe, les réverbères s’allument, on va voir les reflets des néons dans les flaques.
    Ça m’étonne pas qu’il veuille pas la laisser filer avec une promesse belle comme ça. Peut-être il devrait s’en tenir là et pas rêver de fesses rondes. Je sais pas, je lui conseillerais.
    Il est très beau de désir ce texte. Merci Marion.

    • Merci Bernard, voilà qui donne envie de poursuivre la cavalcade pour voir où elle pourrait mener.

  2. Beaucoup aimé mais c’est vrai que le registre (les débris, le glauque etc) donne plutôt une atmosphère de fin de monde. Mais on comprend bien le transi, qui court après sa fragrance sucrée (qui fait tenir la course) et à la fin se retrouve avec son « désir blanc », très chouette expression.
    La cavale, on ne s’est pas trop si c’est vraiment pour le semer ou un jeu entre eux.

  3. Il y a la petite silhouette agitée et le grand silence mou. C’est son grand silence mou à lui.
    C’est flippant rigolo en fait, joyeux (elle) et doucement ironique, en un mot, c’est chouette!

    • flippant, rigolo et joyeux, merci Catherine, je prends, je prends, je demanderai à ce que cela figure en épitaphe dans quelques années