#L1 Sécurité

clefs sur motif bleu
© L. Humbel, 2021

Une ou deux minutes de panique : la serrure est coincée. Que faire si la maison des vacances n’ouvre pas ? Après le trajet, la suée. Il faut comprendre que la clef tourne dans l’autre sens. Finalement, le volet de bois de la porte d’entrée se déverrouille, on respire, la maison est même mieux que sur les photos du site. Texto aux proprios, bien arrivés, merci pour la bouteille en cadeau d’arrivée, très joli chez vous, sans dire qu’on s’est trouvé andouille devant la porte close.

Repos. Le trajet est vraiment long. L’année prochaine on passera les vacances plus près de Paris. On le dit tous les ans. L’année prochaine, elle ne partira peut-être plus avec la famille. L’année prochaine, on sera peut-être à nouveau confinés. Parle pas de malheur.

La salle de séjour traversante s’ouvre sur la terrasse du jardin, avec de l’ombre, de jolis arbres, presque pas de bruits de la ville. Sourires. Chacun choisit sa chambre, le lit double aux parents, la chambre à posters pour l’adolescente, et elle, la grande sœur, dans le bureau-chambre d’amis. Une pièce plus petite, moins haute de plafond que les autres, avec des livres. Il y a des bibliothèques partout dans la maison, même sur un mur dans le séjour, jusqu’au plafond. Et un piano. Elle prend un livre au hasard, l’ouvre à peine, le remet à sa place entre Garcia Marquez et Greene. Elle a vingt ans dans deux jours. Entend sa sœur s’intéresser à la chaise longue à l’extérieur. Entend sa mère mettre les provisions dans le frigidaire. S’assoit sur le lit. N’entend pas son cœur battre. Écrit à ses copines. Commence à défaire son sac. A envie d’être ailleurs.

Sur le bureau, Le Monde d’hier, de Stefan Zweig. La première phrase : « Si je cherche une formule commode qui résume l’époque antérieure à la Première Guerre mondiale, dans laquelle j’ai été élevé, j’espère avoir trouvé la plus expressive en disant : c’était l’âge d’or de la sécurité. » En vrai, elle ne se sent pas en danger. Mais les annonces dans le métro, le terrorisme, les news, la télé, le covid. L’époque aussi est à la sécurité. Mais plutôt en mode âge de fer.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

5 commentaires à propos de “#L1 Sécurité”

  1. Le livre reposé entre Garcia Marquez et Greene, est-ce « les nourritures terrestres » d’André Gide ? Merci pour ton texte. ca me parle !

    • Merci Emmanuel pour ton commentaire, je suis contente que mon texte te parle. Dans ma bibliothèque, c’est un autre livre (il y en a même deux), mais je n’ai pas forcément envie de dire lesquels, justement pour que tu puisses y mettre Gide et quelqu’un d’autre, un autre titre.

  2. Merci pour votre commentaire, Sophie. Je découvre en cliquant sur votre site vos activités de théâtre et d’actions sociales en mouvement, ça a l’air intéressant.

  3. Rétroliens : #L7/ Ceci n’est pas un roman d’aventure – Tiers Livre, explorations écriture