Ses yeux si pâles

Avoir eu une idée en écoutant la vidéo d’où émergeait le thème clôturant l’atelier d’hiver, et malgré la distance prise avec l’idée d’être capable de me maintenir dans le groupe, sentir une idée tressaillir, idée trop intime, trop infime, reprendre le cours des jours en tentant d’y tenir place, et de temps en temps repenser à cette jeune fille que je n’ai pas connue, la saluer, me dire que n’en ai aucune image, si j’en ai vu autrefois, tourner les yeux et leur regard vers la pluie, la lumière, des visages, et puis hier matin en passant l’aspirateur, en me penchant pour le glisser sous un rayonnage, voir vraiment, sur la tablette aux têtes, cette photo, loupée, floue, prise un peu avant sa fin de vie, que j’aime pour la douceur, la tendresse de ses yeux posés sur je ne sais lequel de ses descendants et deviner dans leur bleu décoloré par les ans, presque blanc, la petite fêlure, la légère crainte, la peur de perdre contact, la solitude qui montait avec cette surdité qui, s’installant depuis une vingtaine d’année, la coupait alors presque complètement de nous – même si elle avait le chic pour entendre brusquement un mot, une intonation qu’il aurait été préférable qu’elle ne saisisse pas – et je retrouve l’émotion ressentie en la regardant alors, en découvrant dans ses yeux, son regard, le petit velours, la fragilité que, seule je pense, je n’avais pas su ressentir, ce qui la rapprochait de la jeune fille qu’elle avait été, que j’imaginais, avec sa hardiesse sourdant sous la réserve, l’assurance qu’elle plaquait sur ses doutes, cette jeune fille que j’imaginais, que j’avais vue debout à côté de sa mère devant une fenêtre ouverte sur un jardin sous pluie, et dont je me sentais proche.

image © Brigitte Célérier – Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

7 commentaires à propos de “Ses yeux si pâles”

  1. ah oui moi aussi sous le charme du petit velours et de ce texte infiniment tendre , si touchant. comme quoi faire le ménage mène à tout ! 😉

  2. Oh, tellement beau, ce texte et tous ceux que j’ai lus de vous, ces personnagew que vous dévoilez à peine et dont on voudrait plus, savoir comprendre, connaître juste parce que vous savez à merveille nous tremper dans l’envie d’eux… Merci, Brigitte.

  3. … oui, le petit velours bien sur, une si douce image… et puis aussi cette photo comme un miroir sur un temps, un être tels qu’on ne les a pas connus, de quel coté du miroir se trouve-t-on vraiment ? qui s’y reflète vraiment ? Trop belles ces dernières lignes ! Merci à vous.