Sols

Le premier sol un pavage de tomettes rouges tantôt poreuses et tantôt glissantes cirées entourées d’un trait blanc à l’endroit des joints , travail commenté avec ironie et peut être un certain mépris mots effilochés très au-dessus, très loin, alors que le corps replié de la mère appliquée à cerner chaque octogone est encore là, sans doute le premier d’une série d’images, un corps penché sur les malons parce que le mot tomettes viendra bien plus tard, du dehors,et sera inapte à dire l’étendue rouge, le par-terre.Le deuxième sol dupliqué, une série de carrelages d’un jaune beige comme éclaboussés de minuscules tâches orangées, une couleur un peu pisseuse que l’on pourrait anoblir en disant sable ou pierre,un matériau moderne, granuleux, identique d’un appartement à l’autre, si bien que s’est dessinée comme une rue une voie de sortie irréversible de l’appartement ancien,celui des tomettes, rattaché par ce seul carrelage et peut être aussi par la pierre de cassis de la pile, l’évier, aux demeures plus cossues du centre.Le sol somptueux d’après marché, pris à midi dans une lumière de fin ,dans l’éclat de la chaleur qui chassait tout le monde , montait de l’asphalte et semblait faire lever des lambeaux de papiers noirs minces, des légumes et des fruits blets bavant rouge ou vert, promis à l’arroseuse qui inventait des lignes dessinait un filet résistant de poussière noire changée en une boue très fine , une carte de fleuves maigres promis au caniveau qui encerclaient la place.Sol du local, un ancien entrepôt de fruits et légumes, béton gris sans apprêt, comme en continuité avec le trottoir mais tenu propre cependant par les plus âgés d’entre nous qui avaient sans doute connu des réunions chez les uns et les autres quand le groupe n’était pas assez riche pour louer cet antre, ce refuge dans la ville où tout semblait transparent voué à servir le travail militant sauf peut être à y bien réfléchir une sorte de pièce vitrée garnie d’un morceau de lino , délimitant un espace presque privé , où il arrivait que deux ou trois mangent en préparant un tract, une réunion, dans l’urgence.Ainsi le sentiment d’abandon de précarité dans la maison de bord de Loire serait peut être monté du carrelage jaune de son aspect déjà vu bon marché longs rectangles faits pour la lumière pâle et qui dans le froid humide à la couleur des murs , vous ramènent à l’enfilade de la série d’appartements comme si vous étiez rendue à un chemin tracé se reformant sous vous malgré vos mouvements pour gagner d’autres routes.Arracher le lino bordeaux aux motifs grand siècle, sentir céder la colle sèche après tant d’années, savoir que pour d’autres ce revêtement fut un progrès la promesse d’un ménage plus rapide tout en prenant plaisir à le déchiqueter à le jeter en tas par la porte ouverte de l’appartement parce que ce n’est pas encore chez vous c’est un chantier qui peu à peu découvre le bois de pin les planches irrégulières d’un parquet où poser les paumes.

A propos de Roselyne Cazanave

Née à Marseille, je vis en Haute Loire depuis plus de trente ans. Prof en collège , plus pour très longtemps. J'ai commencé à écrire grâce aux ateliers d'écriture organisés par Anne Roche, à la fac, puis j'ai continué: nouvelles très brèves, poèmes. j'ai un peu publié dans deux revues: Textuerre et Filigrane. L'atelier ''Recherches sur la nouvelle ''a été un vrai cadre de travail. Je continue à écrire sur sa lancée.

2 commentaires à propos de “Sols”

  1. oh là bonheur (je ne dirais pas confortable, ça gommerait l’attention ravie) je me sens chez moi
    sauf que saurais pas si bien… et que pour le blanc autour des tomettes euh..