Tête de bois

 Ponceuse, eau bien chaude, spatule, grattoir, huile de coude. Les visages sont superposés, collés les uns sur les autres, empilés, recouverts. Un visage, collé sur un autre, collé sur un autre, collé sur un autre, … parfois juste un morceau, une partie, une toute petite partie. À découvrir, au fur et à mesure. Visages successifs, on les retire l’un après l’autre, on épluche, on décortique, on détache, on jette malgré la beauté du motif, jusqu’au mur. Nu. 

Visage, face, interface, porte d’entrée, porte de sortie et lieu d’échanges. Concentration des sens. Tout y est, même le toucher, caresse, baiser ou droite bien ajustée.

Contact avec la vitre nez aplati puis écrasé puis menton arcades sourcilières. Et front. Choc frontal. Portrait. 

Le visage, là où s’écrasent les gouttes les jours de pluie quand il regarde les nuages dans la lune. 

Sur son visage la peau est nue, exposée. Ailleurs il n’est que laine, coton et plumes, protégé.

Arrivée 17h46, gare de V. Préviens ta moustache 😉

En bas des poils, en haut des poils, et au milieu, le calme. Cheveux, tignasses, touffe, crinière, tifs, boucles, épis, crins, mèches, sourcils, moustache, barbe barbiche, bacchante, bouc, collier. Les favoris font le lien. Et au milieu, il y a ses yeux. 

Au milieu trône un tronc d’arbre creux. Asile ouvert pour chevêchettes jumelles. Les odeurs les plus subtiles y trouveront refuge, dans la douceur des plumes. 

Un gros rond et à l’intérieur, deux ronds plus petits, un angle et un morceau de cercle. Visage têtard. Deux grands yeux peaufinés, fignolés, maquillés, fardés. Visage manga. V souple du menton, arrondi des pommettes, courbe des yeux, sourcil fringant, cheveux flottants, large sourire. Visage à fleur d’âge.  Traits horizontaux, verticaux, obliques, froissés, abruptes et secs. Visage de rides.

  • Et les yeux, t’as pas fait les yeux !
  • Les yeux j’y arrive pas. J’ai pas le bon crayon, pas la bonne couleur. Et puis ils changent tout le temps ses yeux…
  • Moi je dirais bleu. Bleu gris. Pas trop foncés. 
  • Pas trop foncé ! L’autre jours un gars a coupé la mauvaise poutre, il avait des yeux en cumulonimbus de mer d’Iroise, plus sombres que ton pull noir ! Quand il regarde Lisa il a les yeux clairs comme une plage des Hébrides quand il est concentré il a les yeux en bleu d’iceberg, je sais plus où aller, moi ! 

Son visage est beau, bien symétrique, il est confortable pour les yeux, chaque élément a sa place, nettement dessiné, bien proportionné, il correspond à l’idée qu’on nous a faite de la beauté. Il ne faut pas de trop, pas de trop peu, pas de surprise pas d’étonnement pas de questions. Beauté source de l’ennui ?

Le ciel a un visage en nuages. 

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.