Traits

Elle l’avait dé-visagé, avait fixé, gravé, épinglé  son visage avec une obsession : l’immortaliser.  Elle aurait voulu arracher la peau de ce visage, la mettre sous presse pour que jamais elle ne se fripe. Etait-elle jalouse du temps, son compagnon intime. Elle avait promené sa main sur son visage afin de le figer dans la glaise du souvenir. Elle n’avait pas envisagé qu’il pleuvrait et  que le ruissellement effacerait son contour.

 Plus on envisage un visage plus le visage résiste au pillage.

son visage penché vers les livres soigneusement logés dans un cartable en cuir posé sur ses genoux , déplié tourné vers le livre ouvert, à l’abandon offert à la page vierge d’écriture, lové dans les phrases égrenées de sa plume

De ce visage il ne reste que la main dont la pression encore chaude sur ma main me pousse à croire qu’il est encore en vie.

Le souvenir tâtonne pour offrir aux yeux le visage de la couleur, cherche un bleu et trouve la mer le ciel mais pas le bleu de ses yeux,  trace le nez la bouche les oreilles le menton le front, d’un geste inattendu le souvenir tire les yeux hors du visage et reste en suspens— toi ?­­—.

Reste d’un rêve : une silhouette avance sous un préau à pas rapides, cartable sous le bras alors qu’une autre silhouette errante l’interpelle pour l’arrêter. La silhouette s’immobilise le visage dans l’ombre. Etait-ce lui ? Rêve— d’un rêve de visage.

La rencontre avec un visage le rend d’emblée non-connaissable.  Si l’on s’aventure à dire de ce visage quelque chose — qu’il est beau, doux, jeune, noir, blanc, vieux, joufflu, tordu, dur, tendre, laid, émacié, le visage ne s’offre plus, il est domestiqué, mastiqué, mis en récit—

  • Son visage, est-il?
  • Il est
  • Marqué de vie ?
  • Il est
  • Couleurs des yeux ?  
  • Ils sont
  • Accueilli?
  • Touchée

Des visages plantés sur des cous des épaules des torses, des visages croisés dans les abribus dans les couloirs dans les boulangeries . Elle cherche le sien de café en café de rue en rue. Il se pourrait qu’il soit au Café Français comme à son habitude à moins qu’il ne soit là à cette autre terrasse rue Judaïque comme souvent le lundi midi, « Pardon excusez moi vous ne pas l’auriez vu, il n’est pas venu aujourd’hui, vous en êtes sûr, vous l’auriez reconnu … mais vous savez, la  maladie… ravages… ». Marcher marcher encore, chercher où donc il s’est assis  avec son livre devant son livre.  Au fond d’une brasserie, un mur de miroirs  et son visage absorbé dans un face à face — lui et sa page ouverte.

Je t’appelle par ton nom, tu réponds par ton visage.

A propos de Françoise Anouk Sullivan

Avant: USA-France. Prof littérature — Maintenant: il doit bien y avoir un lien entre ma passion pour l'aviron, sa pratique et mon désir d'écriture.— Après ...

2 commentaires à propos de “Traits”

    • merci Brigitte, votre commentaire m’a fait penser qu’un visage c’est sans doute cela aussi, une invitation à…