transversales #04 | commencer, ça s’appellerait «Savoir continuer»

Une bonne clé de bras, aussitôt les menottes. tout de suite les coups de poing, les douleurs, la tête maintenue à terre, lui à côté qui voulait t’aider emmené lui aussi, embarqués dans le fourgon, passage par l’hôpital, épaule démontée, retour commissariat, pas d’attelle, on n’est pas une pharmacie. Tout s’enchaîne comme il s’y attendait, menaces, insultes, humiliations, la cellule crasseuse, puis le bureau, les questions, on confisque son téléphone où sont tous ces liens, contacts, vidéos, sous scellés. le pire c’est toutes les questions qui tournent dans son cerveau, et mes reportages, et les parents en souci sans avoir de nouvelles, Il savait tout ça, il en a pour vingt-quatre heures minimum, ce n’est pas sa première manif, pas sa première garde à vue, son avocat a été prévenu. Il était là-bas avec des travailleurs sans papier d’une boite d’Intérim, réclamant une vraie embauche, il recommencerait, il apprend son métier, il a récemment rencontré par hasard deux chics types…

Ils se sont rencontrés à PoIe Emploi, elle, venue de l’assistance, ayant passer un BEP carrières sanitaires et sociales, s’était inscrite et suite à trois refus de sa part pour un travail n’ayant rien à voir avec sa formation, avait été radiée, tout à recommencer, mais sans argent sans famille. Et lui, maçon, après un accident au boulot, ne peut plus travailler dur, on ne lui propose que des places de manutention il vient d’obtenir le RSA. Ils vont se retrouver très vite avec une équipe de bras cassés, neuf parias parmi les parias en ces temps de pandémie ou de peste de guerre de réchauffement climatique, réunis par hasard en fuyant vers le nord — On remarquera qu’après tout, si on devenait tous des parias, «Tous tout nus sur la plage» a dit Marguerite Duras, on finirait par devenir fraternels — L’un mourra les premiers jours d’un ordinaire accident de voiture, un deuxième de se retourner, un troisième se tirera une balle dans la tête avant même de partir. Dans les quatre restants, un guetteur de quatorze ans fuyant les tueurs, une sans domicile fixe, un musicien trop esseulé et un lanceur d’alerte dans la tourmente. On suivra leurs déambulations sur sept-cents kilomètres en voiture, à pied, en car, au milieu de leurs tribulations.

À soixante-dix ans Suzanne écrit : Il y a quatre ans, il a eu peur, j’ai été malade, opération, chimio, radiothérapie. Attentif, toujours là, prévenant. Un jour il me dit, au moment où on aimait faire une partie de dames chinoises en prenant un thé vers cinq heures —En tout cas, s’il arrivait quelque chose à l’un de nous deux, l’autre devrait reprendre quelqu’un, on ne peut pas vivre tout seul — je dis oui sans plus y penser, ça ne m’était pas venu à l’esprit. Mais les jours suivants, je me suis demandé, tu ferais quoi, toi, la réponse a mis beaucoup de temps à venir. Et elle a surgi bien plus tard. Il est tombé malade à son tour. Une de ses maladies si longues, en même temps que la tendresse, on a tant de peurs, d’alertes ou d’espoirs…et puis non, un jour, plus d’espoir du tout et là surgit un entre-deux, plus rien, le vide absolu, des jours et des jours.



6 commentaires à propos de “transversales #04 | commencer, ça s’appellerait «Savoir continuer»”

  1. Trois débuts de récits qui nous plongent dans le monde et la vie, bravo.

  2. C’est très beau, Simone, très heureuse de retrouver votre écriture. Trois personnages ou plus et dans chaque partie on voudrait suivre leur vie, connaître la suite, en savoir plus. La dernière d’une écriture plus particulière, grande émotion. Des vies décrites telles qu’on a l’impression de les toucher. Merci.

  3. Je ne peux que rejoindre les commentaires précédents : on est immédiatement happé par ces débuts. Et ce rythme qui colle parfaitement aux récits !
    Bravo !
    On en redemande (s’il vous plaît)

  4. C’est vraiment fort. C’est intense. A la fin de la lecture, j’ai faim, j’ai soif, j’ai envie de courir. Très curieux de savoir ce que ces débuts peuvent engendrer…