#transversales #07 | T’es qui en fait ?

– On ne peut pas nous confondre !

– Tu crois ? Nous portons le même nom pourtant. Il faut dire que tu en as plusieurs. Que tu en as souvent changé.

– Tu m’as piqué mon nom de naissance et cela sans que je t’y autorise.

– Oui, mais tu l’avais abandonné. Il n’était plus qu’ une coquille vide. Je m’y suis installée et c’était pour moi une façon de passer incognito, comme publier à l’abri.

– Tu voulais quoi en écrivant ?

– Au début ou maintenant ?

– Pourquoi, ça a changé ?

– Au départ elle écrivait tout haut ce qu’on ne raconte pas, le secret du quotidien des familles, les mots qu’on apprend aux enfants à taire, elle les couchait certes, mais noir sur blanc, qu’ils sautent aux yeux, qu’ils constituent traces.

– Qui, elle ? Elle ou toi ?

– Elle, qui porte ton nom de naissance, celui qu’elle t’a emprunté pour en faire nom de plume, quand elle portait celui d’un autre avec Madame placé devant, puisqu’elle était devenue grande, son nom de petite fille, elle n’en voulait plus. Elle écrivait pour faire rire et pleurer. Juste cela, que le corps lisant ressente joie ou peine, quand le ressenti est tout ce qui compte, parce que c’est la première couche d’appréhension du monde, les émotions, avec le dedans du corps comme langage universel. Puis elle a pris de l’ambition, abandonné le faire rire, assumer les ressentis désagréables à faire éprouver au lecteur comme communier ensemble. Et au-delà montrer comme le chambardement intérieur ferme la porte, verrouille, enferme et ce qui en résultera ne pourra plus être modifié, des choses auront été perdues à jamais, il faudra vivre avec, enfin plutôt sans…

– Houlala, c’est pas un peu pompeux tout cela. On dirait qu’elle s’emballe.

– Oui, il y a de l’exaltation aussi, sans quoi elle ne pourrait pas tenir à écrire année après année. C’est un chantier qu’elle a ouvert, les fouilles sont à ciel ouvert, on ne construira rien au-dessus, aucun permis de construire n’attend qu’elles s’achèvent, un travail comme peine perdue, pour rien ou si peu, fondamental pourtant et à vie.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces. https://annedejardin.com. Né ici à partir de l'atelier de François, Photographies. Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC71EVLVR9RIVzTojzdI8yfg