transversales #03 | bouts d’histoire …

Ça a commencé par un simple fait divers. Un homme à moitié éméché gesticulait et racontait. L’histoire de deux types qui s’étaient perdus lors d’une randonnée dans le désert californien, un seul était revenu, allez savoir pourquoi? Je les connaissais bien, racontait l’homme, surtout celui qui n’est pas revenu. Il ressemblait à son grand-père, le sens pratique en moins. La vérité, c’est que ça a drôlement remué des choses ici. Et l’homme quittait les lieux. Le patron du café complétait en s’excusant, faut pas lui en vouloir, il est un peu dérangé!

On se croisait souvent au bistrot. Le type parlait tout seul. Des fois il m’interpelait. Eh! l’écrivain, écoute celle-là!
C’est flou, c’est trop flou, je sais que je n’ai pas vraiment envie de ne faire que cette histoire. Qu´est-ce qui compte vraiment? Je dois continuer ce qui est commencé. Jusqu’où? Il y a l´ambiance, le soleil, le lieu, le désert, et surtout ces deux garçons. Et après? J´ai recherché l´article du journal et la photo prise bien avant leur départ. Assez cools, assez peu encombrés par leur propre image. J’ai lu aussi des témoignages.

Quand il était enfant, il faisait des cauchemars. Il disait, j’ai rêvé que je me perdais.Et il se rendormait. Il n’y a que dans les histoires qu’on se perd ! Plus tard, quand il était adolescent, il s’habillait en noir, comme dans ses jeux video. Il notait tout dans son calepin, il avait même noté qu’un jour il partirait en balade dans le désert. Son carnet, on l’a pas retrouvé.

Mon fils, enfant, se prenait pour un aventurier. Quand je l’appelais pour mettre le couvert, il répondait, Un grand aventurier, ça ne met pas le couvert! On en riait avec mon mari.

J’écris, le ciel n’a pas bougé, les nuages, les étoiles invisibles non plus. Dans le désert, on ne peut tracer des cartes que sur le sable, et ça tient pas. Les paysages changent en fonction de la lumière. Les deux garçons s’observent, ils marchent, ces deux-là n’ajustent pas leurs pas, le paysage est trop vaste. Que se racontent-ils? Comment respirent-ils?

Je te déteste!

C’est vrai?

Tout le monde cache au moins un secret! Ça lui servait à ça son carnet, à noter ses secrets! Quand il est parti avec l’autre, il avait un t-shirt noir avec une étoile jaune devant. Il disait, dans le désert, c’est plein de dinosaures!

Mon fils n’aimait que le bleu. Il empilait les couches de bleu, comme si être en bleu lui donnait un avantage. Il lui fallait du bleu sur lui! Le jour où il est parti, il portait son sweat-shirt bleu, son préféré! il en avait deux identiques, il disait qu’il en gardait un pour son double. Je ne sais pas ce qu’il voulait dire.

J’écris, on ne saura jamais les raisons qui fondent les goûts et les couleurs!

Tu hésites sur la direction à prendre?

Lorsqu’on hésite en général, c’est l’hécatombe, c’est ça que tu veux ?

Tu sais l’écrivain, le désert, c’est impitoyable, un lieu d’errance où on risque sa vie, mais c’est un lieu intime avec soi-même! Une amitié, ça peut se perde dans le désert! Note ça, l’écrivain! On n’a plus de repères, on parle avec soi-même, on construit l’image d’un autre qui n’est autre que son double! Tu comprends ça, l’écrivain!

J’écris. Ils marchent l’un avec l’autre, l’autre suivant l’un, et sans doute leurs corps changent, leurs joues se creusent, leurs voix s’estompent. Espace infini, sans bornes et sans limites, aride, des chemins qui se juxtaposent, c’est l’espace sans le temps, la lune est couleur de sable, j’écris, c’est le labyrinthe du désert. Peut-on mourir dans le désert? Ils marchent, le ciel n’est pas une simple question d’air, d’espace et de couleurs. Sur cette terre américaine, cette terre d’été permanent, tout enfle et prend des proportions énormes. J’écris, c’est trop! Peut-être que l’un boîte un peu, c’est ainsi, peut-être que l’un est plus fatigué que l’autre. Ils se taisent, la nuit est tombée, la vraie, celle qui recouvre tout d’un tissu noir et épais.


Je vois des choses, je vois les choses qui sont derrière les choses, c´est bizarre, non?
Tu te souviens avant, on parlait de tout et de rien!

J’écris. Il y aurait une bande-son, une musique glacée, mélancolique, un morceau lent, du piano épuré, cotonneux, des cordes soyeuses, hypnotiques pour raconter l’histoire de ces deux âmes solitaires errant dans un désert sans repère.

Comment tu peux chanter alors que tout s’efface?

Chanter et parler, ce sont des bons moyens d’entendre nos voix, même si on n’en a pas envie!

On va où?

J’en sais rien. Tu m’aides ou pas ?

N’oublie pas l’écrivain ! Tes deux gars, c’est peut-être pas des potes! Tu es sûr qu’ils sont vraiment deux ? Dans le désert, il peut s’en passer des choses! Et le carnet qu’on n’a jamais retrouvé, c’est que de l’invention cette histoire, j’te dis. Les témoignages, tu sais, c’est pas toujours fiable ! Eh! l’écrivain, fais pas la gueule !

J´écris. LOST Ô LAKE| CINÉMA TRAVELLING| RENNES ……

A propos de Monique Renaudeau

Entre lecture et écriture, amoureuse de la mer et des mots, ceux qui surgissent ou qui reviennent, ceux qui s’enchaînent et qui deviennent phrases, des marées de mots.

Un commentaire à propos de “transversales #03 | bouts d’histoire …”

  1. Merci pour ce texte drôle, très vite la voix de l’écrivain prend le dessus et nous capte, comme un solo instrumental, le volume sonore de l’histoire derrière, a diminué.