vers un écrire/film #04 | virer

Il était ces épaules gonflées, il était ces mains agrippées, ces mains poussant, il était ces jambes tendues, ces jambes crispées par l’effort. Il était ces épaules gonflées, cet effort tournant, il était cet élan, ces yeux rivés sur le dos qui tournait devant lui. Il était ces épaules gonflées, cet effort, mais il était surtout à ce moment cette tête redressée pour envoyer le chant. Il était ces mains poussant l’anspect, il était les jambes crispées dans l’effort, il était ce chant qui les emmenait, et il les sentait qui poussaient derrière lui, et il sentait ceux qui l’entrainaient devant lui. Il était ces épaules gonflées, ces bras, ces jambes dans l’effort, il était tout dans l’effort, les yeux sur le dos qui le précédait. Ils hurlaient tous le refrain, et il reprenait souffle. Il était cet effort mis au service du cabestan et maintenant il chassait un peu des pieds, il redressait le cou sur les épaules gonflées par l’effort. Il était ces muscles dans l’effort et il relevait la tête pour relancer le chant, il était celui qui donnait élan aux jambes et bras, et front et muscles des autres. Il était ces épaules gonflées, ces bras poussant l’anspect, il était ces jambes poussant son corps, poussant ses bras, poussant l’anspect. Il était ses épaules poussant, il était son effort, il était la force des autres. Le vent s’annonçait bon et ils poussaient. La chaîne chantait fort en remontant et ils soufflaient « vire vire ». Il était ces épaules, il ne pensait plus, il poussait, ils s’en allaient. Il relevait la tête. Déjà il chantait : « la campagne a été longue vire, vire, vire, la morue et le flétan, vire vire au cabestan ». Il avançait le front, ils reprenaient « vire vire au cabestan » tapant bien fort sur les syllabes comme ils donnaient des coups de reins. Les derniers anneaux ont couru sur le pont. Le maître a bloqué le cabestan. Un ordre a été crié.

image ©Brigitte Célérier – 2022 – Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

18 commentaires à propos de “vers un écrire/film #04 | virer”

  1. l’aime la répétition de « il était », elle me fait réellement éprouver la sensation de l’effort. Il a raison François ça marche le mâchonnement !!

  2. Magnifique. Je sens le corps ( anspect mot nouveau merci) et la chute qui rompt le rythme . C’est fort.

  3. le geste individuel pris dans la force du collectif doublé d’une envolée imaginaire et d’un retour au réel à la fin, prise dedans, merci !

  4. Formidable poussée, bravo ; anspect : oh le mot inconnu qui vient se coller rétrospectivement à l’image que j’avais en tête, et l’habiller…

  5. Le commentaire de Marie, même sensation. Le geste donné à voir dans le collectif et on ne sait plus à qui sont les jambes. Tellement visuel et aussi dans les muscles du corps de celui qui te lit.