L#3| Vues par effraction

Le message était clair : avant minuit, éteignez la lumière et ne faites plus aucun bruit. Même si elle ne savait pas vraiment de qui cela provenait, elle était habituée aux couvre-feux et autres injonctions pour « rester dans le jeu ». Alors, avant minuit ce soir-là, elle avait éteint les lumières de sa petite maison, tiré les volets – mais pas complètement. Curieuse comme elle l’était, elle savait que quelque chose allait, sans doute, arriver. A qui et pourquoi, ça, elle ne le savait pas encore. Par contre, elle l’a bien vu arriver cet étranger perdu sur son territoire à elle. Avec ses yeux de chat habitués à l’obscurité, elle l’avait observé déambuler, s’arrêter, hésiter, se parler à lui-même : par sa fenêtre entr’ouverte, retenant sa respiration pour ne pas trahir sa présence, ses murmures lui parvenaient indistincts… D’aucun aurait pu le croire ivre à le voir divaguer ainsi. Elle se dit qu’il avait peur et qu’il ne savait pas lui non plus pourquoi il était là. A un moment, elle cru voir quelqu’un d’autre dans le coin du mur de l’église… peut-être était-ce juste un chien errant.. ? Et puis, elle remarqua soudain qu’on avait allumé la lumière à l’intérieur de l’église : qui avait fait ça ? Et pourquoi ? Le message était pourtant clair : éteindre les lumières… A moins que ce soit un piège, pour lui, l’étranger perdu sur cette place soit-disant déserte…

Il se délectait du spectacle. C’est lui qui avait tout orchestré. L’appel suffisamment intriguant pour être sûr que son interlocuteur morde à l’hameçon. Le choix du lieu, tellement perdu que c’était un étrange hasard qu’il apparaisse tout de même sur Google Map. L’heure du crime. L’atmosphère oppressante et lunaire. Le voir arriver ici était déjà une victoire mais ce n’était pas fini. Cela commençait seulement. Il fallait qu’il soit prudent et que rien ne trahisse sa présence si près de celui dont il allait changer la vie. Il imaginait les idées qui se bousculaient dans sa tête et l’entendait marmonner indistinctement, ces pas suivant le fil agité de ses pensées… S’amusant encore et toujours aux dépens de sa cible et de tous les habitants, il se faufila par la porte arrière de l’église et alluma… Il espérait le voir entrer et peut-être l’entendre prier pour le salut de son âme, mais il n’entrebaîlla que la porte… inquiet sans doute de rater leur rendez-vous… Il aimait cette attente juste avant l’action. Le trac montait comme juste avant une représentation…. Encore un peu, attendre juste encore un peu pour le saisir complètement, le voir ainsi allongé et abandonné… Il hésitait à frapper…

– Tiens, voilà qui n’est pas ordinaire
– Quoi ?
– Il y a un type qui tourne autour de la fontaine de la place
– Et alors ?
– Ben alors, ça va pas arranger nos affaires
– T’en fais pas de toute façon il peut pas nous voir
– Lui peut pas nous voir mais nous oui, et moi ce soir, je voulais juste une nuit de répit
– Oui, mais tu sais bien que notre job, c’est de hanter les esprits perdus
– Oui, je sais, et lui il a l’air vraiment perdu… je me demande bien ce qui se passe ce soir, c’est calme, beaucoup trop calme
– On nous dit jamais rien quand y a une fête qui se prépare et j’ai dû errer trop loin trop longtemps, et j’ai raté des messages
– Ça s’agite sous la caboche de tout le monde dans les environs mais personne semble savoir pourquoi… attends, il y en a un qui sait… mais je n’arrive pas à lire ses pensées… Viens, on s’approche…

La Maison

A propos de Ysa-Lou Sibiline

Je collectionne les mots comme d'autres collectionnent les montres : mais je n'aime pas trop la sensation du temps qui passe ; je lui préfère les sensations tout court : un parfum, une musique, qui évoque tout de suite un moment ou quelqu'un, un souvenir... toutes ces madeleines proustiennes avec ou sans sucre, avec ou sans chocolat, avec du thé, du café ou du lait froid...

2 commentaires à propos de “L#3| Vues par effraction”

  1. Je viens de lire ces trois premières parties, j’ai l’impression d’arrivée dans une nouvelle sud-américaine, ce mélange de réalisme et de fantastique est très réussi, bravo.