27 septembre ou peut-être le 30 ou peut-être le 22 ou …

 27 septembre

Les dates aléatoires, des jours de gestes automatiques, des regards en arrière, des souvenirs émergeant, brusques presque violents, quand on s’y attend le moins. Une contemplation du chemin parcouru et de celui encombré, inconnu qu’il reste à faire.

Un 27 septembre de basculement, 77, date disruptive.

La mer était grise, couleur de mer du nord.

Une petite usine recyclée en salle de concert. Nous étions quelques centaines à attendre à portée de main du port d’Anvers, piétinant sous le crachin,  presque le pogo à venir. J’avais encore les signes du garçon propre sur lui, du fils , du gendre idéal, du père de famille responsable de deux petits garçons.

La mer était grise , couleur de mer du nord.

Les portes s’étaient ouvertes. Un bar sur la droite, la bière était fraîche, une scène encore vide, batterie installée, guitare, et basse, réglage du son. Un public chamarré, cheveux, bleus, rouges, rose, sauf moi. Je regardais tout avec avidité. La salle s’est éteinte, des cris de joie, d’impatience, la scène s’est éclairée et tout est allé très vite au rythme effréné des morceaux bruts des Sex Pistols. Ça sautait dans tous les sens, mannequins stroboscopiques, jusqu’au dernier God save the queen. Aucun rappel. Tout était dit.

La mer était grise, couleur de mer du nord.

Des photos qui commencent à jaunir. Un anniversaire celui de mes trente ans. C’était dans l’Oise, forêts et brouillard, tristesse et langueur d’un fleuve, une maison Phénix, sans âme avec jardin et tout ce qui va avec. Je m’étais verni  les ongles en noir, gothique, bande son Batcave, un bandeau japonais que portait les kamikazes, et mon gant clouté, perdu dans un concert quelques temps après. Des noms sur des visages… Des êtres météores.  Elles s’appelaient, Nathalie, Brigitte, Frédérique, Marie-Thérèse, Liliane, Corinne. Ils s’appelaient, Denis, François, Philippe, Bruno, Alain, Karim. Karim, un souvenir de parc à minuit près d’une grotte artificielle, des étreintes en silence et son prénom, comme s’il s’excusait. Nous étions donnés rendez-vous par politesse et l’autre n’était jamais venu. Je l’avais attendu près d’un mois toujours à la même heure près de la grotte artificielle, un filament d’espoir. Ce sentiment d’attente m’avais rendu à moitié fou. J’étais capable de plaquer une soirée, un concert, partir au milieu d’un film, pour me retrouver à rôder autour des cette grotte, comme si elle contenait des éléments magiques qu’il fallait protéger. J’étais devenu, une ombre de la nuit, fantôme, loup garou, vampire , cocher la mention inutile. Se dissocier c’est déjà commencer à recoller les morceaux. La fête avait été réussie, c’est-à-dire une bonne biture pour tout le monde, des déclarations d’à jamais et de toujours et tout le monde était rentré dans son garage mental. J’étais resté seul avec ma trentaine encombrante.

 Les Orphelins du déluge, premier livre. Ça tombait bien avec le ciel qui se déversait. Le carton venait juste d’être livré, un peu mouillé sur les bords. Je l’avais installé sur la table basse en pierre, en plein milieu. Avant de l’ouvrir, j’avais rôdé autour, une émotion du premier cri sur papier avec mon nom inscrit. La grande pièce aux fenêtres hautes semblait s’être rétrécie à la taille du carton. Le canapé beige, la table et les livres. J’étais allé chercher un cutter dans l’atelier de mon compagnon disparu six mois avant. Tout était encore en place, je m’étais dit que je ferai le vide quand ces livres arriveraient. Une sorte de grigri, de conjuration de l’inéluctable. Le moment était venu. J’avais posé le cutter sur la table, et mis un disque, celui qui apparaît dans le recueil : London Calling des Clash. Même s’il était tôt dans la journée, je m’étais servi un verre de Jack Daniels et c’est sur Jimmy Jazz que j’avais enfin découpé le ruban marron qui fermait la boîte. Les 50 exemplaires étaient là enveloppés dans du papier à bulle. Dans la main, un livre blanc de petite taille, mon nom inscrit en haut en noir léger, le titre en marron et en gras, et deux lignes en dessous,  Haïkus et autres poésies, en bas de la couverture le logo de la maison d’édition, La Tchika, un buste stylisé en noir et blanc d’une danseuse de flamenco. Sur le quatrième de couverture trois Haïkus : Formuler le rien/ c’est se pencher au-delà/du bord du monde, Dis-moi les couples/les doubles des très souples/les yeux en boucles, Cris sauts roulades/orphelins du déluge/ les enfants se noient.

Sur la première page, une dédicace : à Jean, ce sera toujours la même dans les livres qui suivront. J’avais tout déballé et avais tout rangé soigneusement dans mon bureau chambre, à portée de main, à portée de nostalgie, à portée d’espoir. Le carton inutile désormais avait fini dans le container poubelle, j’étais trempé , de larmes aussi, mais les mots s’étaient mis à vivre : Sans un mot de plus/tu es parti dans l’ombre/des éphèbes blancs. La musique avait changé, Christian Death/Roméo distress, la lumière était crépusculaire/ j’ai ouvert la porte de l’atelier.

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »

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