#40 jours #04 | Paul se tire

Escalier carrelé dedans comme dehors, que des mains invisibles nettoient sans relâche et luttent contre le sable que les touristes rapportent chaque jour. Lui prend le chemin inverse, il les descend ces escaliers, fait fuir les geckos d’un pas lourd, semelle qui couine sous le poids des bagages qu’il traîne sur le carrelage lisse. Gravier aggloméré de la cour, matière qui masse les pieds quand on y marche avec les chaussons de plage en se hâtant un peu pour avoir le temps de tout faire, il n’a pas eu le temps de faire quoique ce soit et c’est la faute du monde entier, il n’a plus rien à faire ici, la bouilli de gravier disparait comme pour l’approuver une fois passé le portail, goudron balafré par les caprices de la voirie, les rafistolages, les petits soucis du quotidien, goudron qu’il préfère éviter en grimpant quelques marches de la rue couverte. Carrelage, oui encore un, mais moins clinquant que le premier, aussi discret que les corps errants couchés ici et là en attendant que le soleil tape moins fort. Lui ne se cache plus de lui, il n’a plus rien à perdre puisqu’il a déjà tout perdu, et même si la lumière lui fait baisser les yeux, il descend de son pied d’étale et s’engage sur le trottoir sordide écrasé comme un vieux sandwich au fond du sac qu’on aurait oublié, plaque d’égout au motif de toile d’araignée, les bandes blanches du passage clouté – tout est de leur faute, c’est ce qu’il rumine en piétinant les aires de livraison qu’on ne voit presque plus, un autre passage clouté qui lui aussi essaye de se faire oublier, des pieds de tables et de chaises, les silhouettes des clients qui s’étalent sur le sol sans qu’il ne les voit vraiment. Le trottoir lui déroule un tapis noir de bitume, de graviers, de sable, de fines et de liant. Confettis d’ombre – celles que les arbres ont bien voulu lui donner – sur les derniers mètres, le sol disloqué de l’arrêt de bus, rafistolé comme un jean d’ado qu’on ne veut pas jeter. Les taches d’huile et de chewing-gum fondu lui font oublier que son bus arrive et va recouvrir d’ici une seconde ou deux ce sol brouillon pour l’emmener loin d’ici. Paul se tire. Paul s’est tiré.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.