# 40 Jours # 40 | partir (suite)

quinze août
hier soir il pleuvait – des éclairs sillonnaient le ciel, du côté du lac Érié, les grands lacs, Détroit et compagnie, un type (non-coupable disait-il ce matin au tribunal par la voix de son avocat – la classe) poignardait trois ou quatre fois de suite un écrivain, britannique, lors d’une conférence – il fait encore assez chaud mais rien n’a changé – cette misère cette terreur cet effroi : cette honte pour le genre – est-ce ainsi ? mais oui, ainsi soient-ils, ces êtres humains, et leurs dieux, et leurs croyances abjectes – on tue on éventre on empêche on torture – et puis on brûle : c’est là, et depuis bien longtemps, quand même Scipion, sur cette espèce d’Aventin que forme la colline de Byrsa, pleurerait toutes les larmes de son corps – oui, on pleurera ensuite oui – on aurait cependant les yeux secs en les voyant revenir en cet hôtel dont parle Marceline, après guerre – et on oublierait – et on se souviendrait, il me semble me souvenir que c’est d’une chambre de l’hôtel Lutétia que se jette le héros masqué de ce film, adapté d’un roman (pas lu) goncourt, Au revoir là-haut – mais j’en aime assez le réalisateur – il y avait dans le souvenir cette maison où jouaient des élèves du conservatoire, une maison de musiciens dans le dix sept – un peu semblable à celle que le réalisateur-producteur (Albert Dupontel) occupe dans mon fantasme, mais pas que, du côté du boulevard Péreire – toujours ces raccourcis, les deux frères et le train (le train), l’un est pris pour l’autre et le second (était-ce l’aîné ? Je ne suis pas certain, mais c’est le père de ce soldat qui va dans la neige, qui est le neveu), le second donc survit par cette espèce d’erreur (la section française de l’Internationale ouvrière à laquelle adhérait le frère était-elle la raison de ce mandat d’arrêt que subît son frère ?) (il se peut qu’ils’agisse d’une forme de roman familial tu sais) – ce second-là va rencontrer, revoir, embrasser son neveu, ce vingt-huit février quarante-cinq, dans un café de Boofzheim, du côté de Mulhouse, ce neveu, vingt-deux ans, va entrer dans ce café, jette nerveusement sa cigarette dans la neige qu’il y a là – il a deux frères qui eux aussi, depuis une année sans qu’ils le sachent, sont orphelins de père – la guerre n’est pas finie encore, on se bat et on meurt encore mais lui entre au café et retournera plus tard de l’autre côté de la mer, reprendra le cabinet d’avocat de son père (dans quelles conditions ? d’abord étudiera le droit grâce à l’aide étazunienne) (son oncle est médecin, il a fait ses études à Lyon, il a aussi ouvert un cabinet dans lequel il exerce la profession de dermatologue – cet oncle que je reverrai fin des années soixante-dix rue de la Marseillaise à Paris limite Pantin) – ça ne marchera guère cette affaire de droit et de clientèle, ou autre chose – il épousera cette jeune femme brune, ils auront quatre enfants, un garçon puis deux filles, puis un autre garçon ce dernier ne sera pas attendu (apprenant la nouvelle, la jeune femme brune se mettra à pleurer – elle a à ce moment-là vingt-six ans et trois enfants en bas-âge comme on dit – comme s’il en était un haut) – lui travaille avec un autre oncle (un des frères de sa mère) au garage du bas de l’avenue, non loin de la gare du TGM – il s’occupe des achats, huile lubrifiants pneus pièces détachées voitures étazuniennes – et puis ce seront les événements et la pacification qui débutent en novembre cinquante-quatre, puis le retour de la guerre et puis le monde qui s’enfuit – de sa famille à elle plus personne ne restera ; pour lui seul cet oncle, jusqu’à la guerre des six jours – le mot juive peut qualifier les deux familles, tout le monde est parti – durant ces mois de juin et juillet soixante, les quatre enfants s’amusent comme il se doit : les vacances et la baignade; leur père est absent, cherche du travail au nord; le petit dernier passe en neuvième, l’aîné a son certificat d’études en poche, les filles suivent le même chemin – il fait toujours beau sur l’avenue, quoi qu’il puisse arriver, un soleil généreux, une eau claire et salée douce légère calme qui ne sera plus qu’un souvenir – on n’en sait rien, on est là et on bronze sans le savoir ou vouloir au soleil remontant vers la maison pour déjeuner après le bain – tu verras, on partira (il y avait une chanson qui faisait tu m’oublieras elle était presque fredonnée a capella par l’actrice principale (qui est chanteuse dans la vie) et oui, enfin non, on n’oubliera pas – mais on oubliera quand même, on sait comment c’est) – on oubliera on se souviendra on se reverra – à la fin du film

il me faut ici remercier toutes celles et tous ceux qui sont venus ici lire - et celles et ceux qui commentèrent - rien n'est jamais fini comme on sait - ce sont tous différents encouragements - encore merci donc - un merci particulier au texte magnifique #40 de Françoise Breton qui, par je ne sais quelle alchimie, m'a donné le moyen, la ressource, d'écrire quelque chose du quarantième (rugissant je suppose) - les images de Nathalie Holt (notamment, mais pas que, celle de la couverture du livre #17) - évidemment l'hôte et ses directives consignes conseils réflexions - qu'est-ce qu'on a pu lire hein - les divers exercices regroupés dans un même fichier illustré (on a en #27 une espèce de récapitulatif qui, comme un pain sur une planche, signifie le travail à accomplir : j'ai vaguement le sentiment d'avoir répondu à la consigne quarante (on pourrait revenir indéfiniment sur ce mot de "consigne" qui sert de mise en place ou en route) - on aurait pu mettre des liens aussi bien vers les différentes explorations disons - j'ai préféré ne pas) - ce n'est pas que ce soit fini, mais quelque chose s'évade (tant mieux) tout en étant une espèce de départ, de fin, de terme et de conclusion - une fuite en avant - était-ce le but ? (il n'y en avait pas) (il n'y avait que la ville, il me semble au départ) je ne crois pas - il faut encore et toujours continuer car ce n'est qu'ainsi qu'on est vivant - c'est évidemment d'un nombrilisme achevé et d'un narcissisme profond, mais enfin j'ai relu ces textes (les miens) ils ne sont que quarante (il n'y en a que plus de deux mille trois cents dans l'atelier : comment tout lire d'ailleurs ?) et il y a comme une impression de rondeur, une sphère que ce mois-là de cette année-là, comme quelque chose qui voudrait exister par soi-même, j'avais même trouvé un Partir quand même pour titre mais non (un titre de chanson de la grande asperge), je n'en ai pas fini on n'en a jamais fini avec les chansons... - je garde pourtant par vous tous et toutes une affection particulière de cette époque-là (je veux dire du 10 juin au 20 juillet 2022) où tous les matins je me mettais (après le journal) (avec le café et le jour levé) à me creuser un peu plus la cervelle (comme on dit) pour parvenir à voir dans quelle mesure ce que j'avais lu ou entendu la veille pouvait s'inscrire dans cette sorte de narration entreprise - depuis le début, Venise rôde, Lisbonne se manifeste, Istanbul s'écrie et le reste du pourtour de cette mer m'envahit un peu (Gênes n'est jamais loin, et cette mer ne baigne pas le Portugal mais c'est tout comme - il y a quelque chose, la découverte sans doute, au loin les côtes du Brésil, quelque chose de ce genre) il manque de parler cuisine, c'est un peu ce que dit ce codicille - je me dis que l'irruption de la réalité, de l'actualité sûrement dans ce qu'on écrit est insuffisante - ce qui nous arrive, pendant ces jours-là pourtant a bien une influence, ferme-t-on les écoutilles et les paupières, tous les pores de nous-mêmes pour s'extraire de cette vie permanente, pulsation formidable, émotions sentiments humeurs, et se met-on à écrire ?  
Bonne suite en tous cas
l’avion qui part

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

2 commentaires à propos de “# 40 Jours # 40 | partir (suite)”

  1. Merci vivement Piero pour ce grand départ, ce parcours plein feux sur les pays de la mer morte et des mers vivantes, ces pays que je ne connais pas, même en fouillant de mémoire les documentaires qui hantent et divertissent, ici c’est un pont-levis qui se lève, et la forteresse volumineuse décolle soudain des douves et des rebords de terre, fracas, film d’action et d’épouvante, glisse et tombe et creuse la mer