#40jours #01 | une petite tasse de café

Dans le rond de la tasse de café posée sur la petite table en bois du jardin, tremblent les feuilles de l’avocatier. Elle lève la tête. Le vent s’est levé. Il met en mouvement le jardin tout palpitant d’herbes folles, de graminées et de papillons blancs, petit carré de vie au cœur de la ville, enclave de verdure et de quiétude en marge de la ruelle crochue où portes et fenêtres s’ouvrent, se ferment, se saluent, ruelle chuintante des vapeurs de la blanchisserie au petit matin, animée de la conversation des seuils de portes le soir tombant, vibrante de la musique qui s’échappe, à toute heure de la journée, de la maison en bois, rouge et blanche, tellement de notes qu’on en sourit, qu’on esquisse un pas de danse, on chante. Elle n’a plus de montre. Le quartier vit au rythme de la cathédrale, des heures sonnantes et trébuchantes et des cérémonies religieuses, échos de chants de messe chahutés par les déboulés du Carnaval qui, une fois l’an, enfièvrent la ville, lui retournent les viscères, chants danses tambours arrachés des entrailles, et puis, ville livrée à elle-même, essorée, écrasée de chaleur dans la torpeur des dimanches. Alors, parfois, elle a besoin de quitter la ville brûlante et de chercher la mer. Au plus près. Besoin de palper les bords de l’île. Au plus près du bord de terre, au plus près du bord de mer. Longer la côte. Dans l’intimité de la bordure. Voir, entendre, respirer, manger, palper les bords de l’île. Elle en rêve. Elle ferme les yeux. Elle fait éclater les frontières. Surgit alors l’île en son entier, papillon vert posée sur l’eau. Petit maillon accrochée aux îles sœurs, toutes surgies expulsées crachées vomies des soubresauts volcaniques depuis les entrailles de la Terre. Arc-en-îles des Petites et Grandes Antilles, niché au cœur des Amériques sur la route des cyclones et de la brume de sables du Sahara. Et dans ce morceau de monde qui tourne sur lui-même, dans ce bout d’univers à l’existence insensée, il y a le petit rond de la tasse de café où tremblent les feuilles de l’avocatier.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

Un commentaire à propos de “#40jours #01 | une petite tasse de café”

  1. « palper les bords de l’île » et d’autres belles images dans ce texte très sensuel.