#40jours #prologue | la ville où

Ferme les yeux.

Tu as sous les paupières des géométries sanguines, celles qui irriguent ta mémoire. Ferme bien les yeux. Laisse les angles réveiller ce qui a trop longtemps dormi. Tes yeux sont fermés et regardent l’intérieur. Voient les formes se reconstituer les volumes les lignes de fuite empruntées. Voient une verticale percuter les barrages des temps. Des lumières scintillantes ou froides. Des couleurs délavées mais garde les yeux fermés.

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Droite herbeuse terreuse buissons hauts avant la fauche encore humides le dimanche matin tandis que le jour dissipe une brume joueuse frôlant le chemin en nappes où l’on plonge l’âme d’abord le corps ensuite et le pont juste là offre la perpendiculaire aux automobiles au-dessus calme à cette heure précise malgré la gare jonction de la périphérie et du cœur de la ville foulées comme pesanteurs frappant la semaine qu’on achève la rivière coule malgré tout si proche des feux des parkings mais en contre bas cachée de rangées d’arbres alors on peut l’ignorer ne voir que le quadrillage des avenues et les immeubles Legos sans couleur posés par des enfants déjà trop réfléchis à reproduire organisation optimisation planification d’un jeu urbain : la ville où je grandis.

Cercle blanc zénith radical vertical échauffe les surfaces immeubles blancs rangées de balcons béton fenêtres fermées crachent les échos du ciel en toutes directions s’écrasent eux sur la grand place trône l’astrolabe de fer brûlant gris courbes imitent la planète Terre une aiguille peut tourner en son cœur si une main ose si poser incandescence du moment solaire trois marches longent la place on s’y assoit à attendre la suite tandis que des bulles au sol que les enfants tout l’été seulement prennent pour chemin sauter de bulles en bulles les sentir s’aplatir sous leurs pas le sol est minéral mais vivant quelque chose respire dans le dessous de la place et partout dans la ville sur la dalle qui unit les quartiers et les enfants partout s’y déplacent librement mais de cloques en cloques l’été cercles vibrants anomalies dans l’entremêlement des lignes du grand plan : la ville où je marche.

Rectangle vert immense des vélos entassés entouré de voies larges grises bordées de pavillons identiques mitoyens par les garages remplis sans doute entrées les mêmes partout symétries partout circulent les voitures le long du rectangle se termine comme une colline minuscule ponctuée d’arbres où des grappes d’enfants poussent régulièrement où des bouquets de rires envahissent l’herbe partout tondue des barres de métal blanc miment le terrain là où il faut marquer viser tirer de toute la force d’un pied qui s’imagine Coupe du monde les habits le soir enfourchent les vélos verts aux coudes : la ville où je m’écorche les genoux.

Triangle comme enfoncement dans l’allée connecte le quartier aux commerces plus loin qu’on ne voit triangle comme espace préservé mais peuvent y plonger les regards des passants triangulation des immobiles entassements de logements à côté au-dessus en-dessous comme lévitation car y passe une route silencieuse depuis le triangle planches de bois alignées clouées renforcées le protège une table rectangulaire bouscule les trois angles quatre pieds et ceux des vivants et leurs mains arabesques d’une discussion dans ce creux en dedans dessinent l’air s’y évaporent les mots s’échappent du triangle sans destination cognent les murs bruts impassibles frontières empêchent la lumière triangle comme ombre continue des recoins dessinés par une main un jour espaces publics et privés être chez soi dehors avec à côté : la ville où je me cache.

Pyramide d’un vieux bleu affirme l’angle la croisée la jonction de la ville du bas à la ville du haut le bas aux automobiles le haut aux piétons pyramide d’acier enchevêtré combinaison de triangles combien sont-ils on les compte on tente en tout cas en-dessous l’horloge affiche de chaque côté le même cadran la même heure celle d’ici trottent les aiguilles tandis qu’en contre bas sur le banc un vieil humain tend le doigt compte les triangles se trompe et reprend à l’angle barres d’immeubles blancs alignement d’arbres en face pour dialogue ville et nature et coule de là une pente douce de pavés ouvrent sur la place offerte au supermarché portes s’ouvrent se referment avalent les vivants quelques parasols pour ceux qui hésitent à franchir le seuil puis le soir des lampadaires sont plantés mais n’ont pas poussés ils sont là encadrent mais quoi on n’y voit qu’un aléa dans la ville sur cette place : la ville que je consomme.

A propos de Rebecca Armstrong

J'aime la voix alors j'ai fait de la radio (associative), je produis des podcasts et mon métier c'est de faire lien avec ma voix. J'ai écrit, vraiment pour la première fois, récemment. Un manuscrit instinctif est né: des flashs d'un temps passé disons. Il s'appelle "1.2.3". Je souhaite désormais explorer l'écrire avec la profondeur que je sens ici, avec tout l'enthousiasme de la novice. (Et au fait, j'aime les tatouages, les apéros, les lecture à voix haute, mon potager minuscule, courir le matin et lire)

4 commentaires à propos de “#40jours #prologue | la ville où”

  1. J’aime beaucoup le jeu sur la géométrie, sur les formes, sur les angles, et comment tout se condense dans la belle phrase de fin de paragraphe, simple, émouvante.

    • Merci Xavier de t’être arrêté ici! Il faut que j’arrive à lire d’ici ce we les nombreuses propositions… Et merci pour ton commentaire 🙂