#40jours #prologue | Le musée de Châteauroux demande un cadavre

Peau cornée, parchemin jaune ; parmi l’étoffe délavée, les yeux sans paupières paraissent clos, le corps est pris, tenu, le visage n’en est plus un, ensommeillé ; vu de côté, vu de loin, monceau d’étoffes et de papiers mêlés, corps chiffonné, sous l’effet de la dessication ; aux termes d’un courrier daté du 24 décembre 1903 émanant du chef du cinquième bureau à la direction de l’enseignement supérieur, Le musée (…) demande un cadavre. On pourrait lui attribuer une momie de patricien : musée Bertrand, Châteauroux.

La cascade de pierre est immobile dans l’enchevêtrement de terrasses, de racines et de balcons, le jardin est suspendu quand un mouvement naturel le précipite vers la Loire, là-haut est un grand cèdre, une arche encadre les dernières marches de l’escalier, les baigneurs tourbillonnent en contrebas et se dressent sur des jetskis tandis que plus loin les méandres de la Loire s’assèchent et se comblent de sable ; le guide de 1830 décrit, circonspect, l’architecture perchée, Il voulait quelque chose de bizarre, et il y a réussi comme vous voyez : Folies Siffait, Le Cellier

L’éclairage est diffus, au fond de la pièce, des parasites flottent dans les bocaux ; à l’entrée, à droite, trois fœtus figés dans une gaité provocante, tels les personnages d’une danse macabre, un filet de pêcheur se déploie dans l’air, le système nerveux d’un cheval sans os ni chair ; cette technique développée par Fragonard est encore méconnue aujourd’hui : musée de l’école vétérinaire, Maisons-Alfort.

Les ruelles dégoulinent le long de l’aqueduc depuis la gare, jouxtent des jardins arborés puis remontent sur les hauteurs d’Arcueil et Cachan, la rue de la Citadelle escalade le coteau jusqu’à l’autoroute, en fond de vallée, l’avenue court rectiligne vers Gentilly, à proximité du cinéma, de la maison de retraite, du square et du conservatoire, le bâtiment dévoré par la vigne vierge dont ne subsistent que les racines, est encadré par des poteaux recouverts de barbelés : la protection anti-intrusion a été renforcée ; le 13 avril 2020, au bas d’un article du blog paris-autrement consacré à ce site, le lecteur commente en ces termes, Salut Il fait beau temps alors qu’on attendait la pluie. On a pu faire tranquillement les courses. Bon week-end : laboratoire de Marie Curie, Arcueil.

Les façades évoquant de larges remparts, encadrent une étendue de pelouse, quelques résidents se réunissent autour d’une guinguette pirate, la végétation recouvre les murs, une poignée d’habitations privées prolongent le grand ensemble, s’agencent autour d’une petite place au centre de laquelle un arbre se dresse ; l’opération de rénovation se poursuit, les flux et circulations sont murés pour motifs de sécurité ; en 2022, l’architecte Renée Gailhoustet reçoit le Prix de la Royal Academy of Arts en 2022 pour l’ensemble de sa carrière : cité de la Maladrerie, Aubervilliers.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

5 commentaires à propos de “#40jours #prologue | Le musée de Châteauroux demande un cadavre”

  1. Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours

  2. « Le musée de Châteauroux demande un cadavre ». Le premier paragraphe, avec cette peau cornée parchemin paupière – et plus loin les foetus au formol – énigmatique et inquiétant

    Arcueil Cachan, des souvenirs à moi sous tes pas à toi. J’imagine hors contexte ce fragment-là : « Bon week-end : laboratoire de Marie Curie, Arcueil »

    J’ai regardé ce qu’a fait Renée Gailhoustet et… est-ce la cité Jeanne Hachette à Ivry-sur-Seine que je vois là ? En tout cas ça ressemble à mon enfance.

  3. Ce sont là les bizarreries du musée de Châteauroux, on y trouve aussi un objet unique au monde, la volière de Napoléon à sainte-Hélène. Peut-être avec retard je rédigerai la proposition «  catalogue » avec tous ces objets singuliers, mais le catalogue serait immense… Pour Gailhoustet Il s’agit de la cité de la maladrerie à Aubervilliers que j’ai découverte en suivant des urbanistes du mouvement italien Stalker. L’architecte estimait que l’œuvre était finie quand la végétation recouvrait tout. Dans ce quartier beaucoup de courants contraires : l’Anru qui plaide pour la residentialisation c’est à dire l’appropriation et le barrierage d’espaces publics qui non appropriés deviennent des espaces de deals ou des espaces insécurisants et les architectes plaidant pour l’ouverture, les flux, le système. Et là-dedans les habitants plus ou moins concernés. C’est une très belle cité à visiter. J’ai repris cette promenade dans plusieurs textes, l’exercice cartographie notamment. Voici un article sur ces démarches, je suis certaine qu’il t’inspirera : https://www.cairn.info/revue-vacarme-2004-3-page-94.htm

    • Merci pour ces références, entre temps j’ai vérifié c’est un autre architecte à Ivry. Je vais lire la suite…

      • Je crois que c’est bien gailhoustet aussi en binôme avec Renaudie, les fameuses architectures en étoile, le même esprit en tout cas !