#photofictions #03 | béton oblige

#3 PHOTOFICTIONS : Nan Goldin

chiens de béton. L’on serait bien en peine de dire si la table rase et raide les unit ou bien les désunit, si elle leur est trait d’union, cicatrice ou étai. L’on ne saurait dire non plus, entre ces deux bancs, ce qui se joue, se dit ou bien ne se dit pas au dessus de cette table, quelle langue s’y parle, quel drôle de Verbe y flotte, personne jamais ne s’assied là – béton oblige, béton oblige !, me rétorquas-tu… les lèvres sont figées, les corps sans bras et les pieds coulés, moulés, rivetés dedans le sol,  béton de bancs oblige, le long de cette autoroute, béton de bancs oblige, incompressible rapprochement, fausses unités de temps, de lieu et de matière… autoroute, laquelle ? il ne m’en souvient pas mais grâce à toi, il me reste ces deux bancs-là, tous deux moulés-clonés, sans liberté, rivetés dedans le sol… rien que du sable, du ciment, des granulats et de l’eau le béton – rien de plus, non, vraiment rien, et pourtant il les tient tous les trois le béton… alors, béton de sel et de fiel, béton mutique prêtant traîtreusement le flanc aux dispersions par ses lattes disjointes… béton oblige, le temps file, et, d’entre leurs lèvres, réciproquement les deux bancs ne se renvoient au dessus de la table rien d’autre que la terrifiante fixité de leur uniformité, cette raideur sans fin et leur silence saturé… pauvre langage sans voix, sans joie et sans variantes ! et, toi, Miroir, ô Génie du Miroir, toi qui sur mon ventre a déjà tout perçu, toi qui sans complaisance renvoies le pire et le meilleur, tu me rétorquas encore, lequel se renverraient-ils donc puisque personne jamais ne s’assied là ?! ici, ne circule que l’enfermement, il puise son énergie aux lèvres de l’un et de l’autre… alors, dis-moi à quoi bon la couleur ? à quoi bon l’herbe verte et la pluie qui la baigne, Miroir, ô Génie du Miroir ? dis-le moi, toi qui, cette fois encore, me révèles, bien des années plus tard, ce que je n’avais pas retenu !… C’est ce jour-là, Miroir, je crois, que tu m’as répondu, couleur ou pas-couleur, je proposais, ne t’en déplaise, mais c’est toi qui a disposé !

A propos de Christiane Mansaud

Besoin de passer par d'autres langues - connues, inconnues, pour mieux sentir celle en creux, la redécouvrir, l'explorer de la voix, la réécrire, la modeler, aller jusqu'où il est possible - qui mène l'autre ? mystère...

4 commentaires à propos de “#photofictions #03 | béton oblige”

  1. Superbe texte, Christiane ! Votre texte arrive à figer plus encore dans la terre ces objets vidés de sens et remplis de solitude. Merci infiniment !

    • Merci beaucoup pour votre lecture et ce retour, Helena, je sens que je me suis rapprochée de l’objectif que je m’étais fixé – l’adéquation du style à la lourde sensation provoquée par cette image.

  2. Superbe ces bancs qui causent plein béton. J’ai pensé aux pierres de Claude Ponti dans Petronille et ces 120 petits en le lisant (et c’est un compliment).

    • … alors, merci pour ce compliment ! N’ai jamais eu l’occasion de faire la connaissance de Pétronille, m’en vais de ce pas y remédier pour mieux comprendre votre commentaire – j’aime bien ce causer plein béton