carnets individuels | Pierre Ménard

#40 Lire un livre par jour, ne pas hésiter à en lire plusieurs en parallèle, de styles différents, essais et romans, poésie et journaux.
Au moment de chercher un mot pour le remplacer par un autre, ouvrir une page au hasard dans les livres de sa bibliothèque, lire la page en question et revenir aussi vite vers son texte pour changer non plus le mot qui ne convenait pas mais modifier plutôt la phrase en entier.
Sortir se promener une fois par jour, pas besoin d’aller bien loin, mais indispensable de sortir de chez soi.
Développer plusieurs projets en parallèle, lorsqu’on n’avance plus dans l’un d’eux, passer à l’un des autres projets. Garder bien en tête (ou sur son ordinateur, ou tout autre aide-mémoire) les différents projets pour ne pas les oublier et bien y travailler de concert.
Fuir les réseaux sociaux si ce n’est que pour y diffuser les textes qu’on publie régulièrement sur son site.
Oublier l’imparfait, travailler le fragment, mélanger les genres, enlever le plus possible les pronoms, n’utiliser que des verbes d’actions, chercher des synonymes, ne pas se gargariser d’adjectifs ou de mots rares et précieux, alterner entre phrases courtes et phrases longues, maudire le saut de ligne et favoriser le bloc.
Écrire dans un premier mouvement, et reprendre le paragraphe produit plusieurs jours plus tard, en y ajoutant un nouveau paragraphe, et ainsi de suite.
Se donner des objectifs et des limites.
Penser à ce qu’on écrit à tous les moments de la journée et surtout ceux où l’on ne se trouve pas derrière l’écran, lorsqu’on se douche, lorsqu’on prépare le repas, lorsqu’on fait sa gymnastique, lorsqu’on se brosse les dents, lorsqu’on écoute de la musique, lorsqu’on travaille (pour ceux qui ont un autre métier).
Parler de ses projets autour de soi, à ses proches, à sa famille, à ses amis, leur réaction peut nous aider, mais ce qui compte surtout c’est d’épuiser l’histoire qu’on a en tête, et voir combien de temps il continuera à nous obséder alors qu’on en parle régulièrement. Il arrivera parfois que notre envie d’écriture disparaisse, ce n’est pas très grave bien au contraire, si cette envie s’estompe ce n’était sans doute qu’une idée passagère, d’autres viendront la remplacer.
Lorsqu’on ne sait plus quoi écrire, ni comment ni pourquoi, prendre un livre de sa bibliothèque qu’on n’a pas lu depuis longtemps, commencer à en recopier un passage, se laisser envahir par le rythme de l’écriture de cet ouvrage, le phrasé de son auteur, les paysages décrits, les figures esquissées, pour retrouver le fil de son écriture.
Participer à des ateliers d’écriture et puis arrêter d’y participer, pour écrire à nouveau.
Ne pas écrire ce qu’on n’aime pas lire, triturer la langue, déconstruire la structure du récit, changer régulièrement de rythme, de syntaxe. Écrire ce qu’on a l’impression de ne pas pouvoir lire chez les autres auteurs. Le livre qu’on voudrait lire qui n’existe pas encore.
Noter ses rêves et rêver de notes.


#01 Compte-rendu de ce qui s’est dit lors de mon rendez-vous en ligne tout en effectuant d’autres tâches. Fenêtre de temps imparti. Apparition inattendue d’un ami qui sort de chez le dentiste. Signe amical en passant. Fou rire. Étonnés de se voir dans ces conditions inattendues. Dans l’impossibilité de parler. Au moment de quitter l’accueil de la bibliothèque, distrait, j’oublie d’enregistrer le texte en cours d’écriture. Les mots peinent à refaire surface. La mémoire convoque le passé au présent. Dehors, l’air frais me surprend d’une caresse vivifiante sur le visage.

#02 Il y a dans l’effort de ce jeune garçon, escaladant la grille du centre sportif dont l’accès est interdit à cette heure, juché tout en haut, suspendu, en équilibre, entre inquiétude et jubilation, qui discute avec son ami en contrebas, une insouciance juvénile qui me laisse rêveur. Le soleil brille dans leurs cheveux en bataille, le front perlé de sueur. Les feuilles cramoisies flottent dans les flaques d’eau. Leurs reflets s’accrochent aux branches des arbres. Comme une attente et une révélation. La carrosserie de la Trabant est un mélange de résine et de fibre de coton.

#03 Emprunter le même chemin pour une promenade en famille que pour aller travailler. Le souvenir de l’image de la veille refait surface. Sur les bords de l’image. En sursis. Un couple de Roms vit là avec ses deux enfants dans l’inconfort et la promiscuité de leur tente. Je me reproche de ne pas leur avoir donné d’argent. Difficile à avouer. Dans un coin ensoleillé du cimetière de La Villette, un homme à lunettes de soleil, sur une chaise pliante de couleur vive, livre en mains. À cet endroit, il y a plusieurs années, un SDF avait construit un abri pour dormir à l’insu de la ville.

#04 Dans la pénombre, les derniers lambeaux d’images s’effilochent. L’assemblée est sur le point de partir à la fin de la cérémonie, dans la confusion des mouvements, l’agitation de la foule en désordre. Dans l’urgence, la précipitation se mue en pressentiment et provoque le sursaut du réveil. D’un geste machinal, dans le froid de la chambre, vérifier l’heure sur le smartphone au pied du lit. Sa lumière bleutée. Deux minutes avant l’heure du réveil. Se lever sans faire de bruit pour ne pas la réveiller. La sonnerie de son réveil au moment de sortir de la pièce. Rendors-toi !

#05 Plusieurs couches de nuages superposés. L’air est doux. Pas de risque de neige. C’est pourtant un ciel à flocons. Le vent finit par se lever. Le tissu blanc des nuages s’effiloche pelucheux laissant apparaître le bleu pâle du ciel par trouées successives qui s’accélèrent soudain. Une lumière dense souligne par intermittence le paysage, des ombres se dessinent avant de s’effacer. Le voile se lève lentement. Dans le ciel uniformément bleu désormais le blanc du matin se maintient.

#06 Un jeune homme avance vers moi d’un pas assuré. J’entends la voix rauque d’un homme caché par le pan de mur en briques qui fait l’angle. Il appelle quelqu’un que je ne vois pas : Mademoiselle, mademoiselle ! Le jeune homme aux cheveux longs bouclés détourne le visage à ma hauteur, regardant derrière lui, attiré par ces cris insistants. Le vieil homme demande qu’on lui ouvre la grille d’entrée en sonnant à l’interphone situé hors de sa portée. Le jeune homme me dépasse. Je comprends qu’il est vexé qu’on l’ait confondu, de dos, avec une jeune fille. Visage fermé, il s’éloigne.

#07 Le rouge nacarat à peine effacé souligne le repli charnu de ses lèvres ridule son sourire les yeux rêveurs derrière ses lunettes rondes cheveux roux en mèches rebelles sur son front bombé | Quand elle sourit son visage se transforme plus trace de ses lèvres trop fines d’un trait ses longs cheveux châtains filassent sur ses épaules ses yeux d’aveugle bleu translucide | Cheveux gris épars la peau parcheminée brûlée par l’acide de plusieurs greffes de peau réparatrices suite à son accident l’œil droit creusé sous l’arcade tête penchée dans l’écœurante odeur de paraffine.

#08 Paris Parodontax Bleu de Chanel Caduet Opticron Polina Panassenko Mac Apple Firefox Twitter Facebook Gmail Liminaire EDF Chamboux Abdel-Baghy Ziani Granotier-Bonaffé Lejeusne Eugène Varlin Athina Larantidou Robert Blache Pierre Baldini Valmy Henri Christiné Jemmapes Grange aux Belles Georg Friedrich Haendel Coligny Montigny Albert Camus Colonel Fabien François Villon Orona Alma Microsoft Edge VSmart Hewlett-Packard ViewSonic Lucien Suel Cours toujours Anne Savelli Inculte Catastrophes Dorothée Volut Alcatel-Lucent Maëlle Henaff Audacity WeTransfer Moulinex Sandor Krasna YouTube Anchor

#09 Ce rêve réveille dans un éclat de rire. Le bruit empêche de se rendormir, mystérieux et musical. Ne pas y prêter attention. Il pèse malgré tout. Dans l’angle mort, comme ces ruines qu’on découvre en chemin. Les ignorer. Cela ne sert à rien d’insister. Avantages et inconvénients. Élans et réticences. Voir l’automne supplanter l’été et la température baisser en même temps que les jours diminuent. Le passage du temps, surtout, qui inquiète et rebute. Passons. L’esprit prend tout l’espace, se projette. Éviter le pire. Le rire l’emporte. Cette légère anticipation fait toute la différence.

#10 Pendant que je lis cette phrase de Polina Panassenko, dans son livre Tenir sa langue « La forêt disparait et c’est le noir » j’entends le bruit d’un interrupteur électrique. Pendant que je regarde par la fenêtre, le téléphone sonne dans le vide. Pendant que j’observe le bleu sur mon bras provoqué par les massages rigoureux de ma kiné, je pense à l’écriture d’un récit sur le désir et la violence. Pendant que je regarde le ciel couvert de nuages derrière la vitre de mon bureau, je pense aux images que je vais tourner pour Alice. Pendant que je lis ces mots de Jean D’Amérique « La douleur des jours comme un tatouage », je pense à la forme de l’hématome de mon épaule et je me sens un peu honteux. Pendant que je relis mon texte d’hier, j’ai la sensation d’être passé à côté de ce que je voulais exprimer mais d’avoir en même temps ouvert une porte secrète derrière laquelle il faudra que j’aille explorer. Pendant que je lis le mot flamboyant, je vois une fleur exotique aux allures d’oiseaux à long panache. Pendant que le ciel de Paris devient bleu et que la lumière de cet automne éclaire la ville après une matinée nuageuse, mon cœur s’emballe. Pendant que je lis dans Le Monde une chronique sur le mot “nègre” aux États-Unis qui a été enterré en 2007, lors de « funérailles » symboliques à Detroit, devenu le N-word, « le mot en N », que l’on ne prononce plus tant il serait monstrueux, je me souviens de la discussion enflammée qu’ont eu les invités de Françoise. Pendant que Caroline boit du Coca Cola je bois une bière Asahi. Pendant que je cherche un mot, une idée qui m’échappe, j’essaie de ne pas trop me fixer sur cette pensée, privilégiant une attention flottante. Pendant que je ferme les yeux, je repense aux corps flottants de Jane Sautière. Pendant que je marche dans l’air frais du dehors, je ne pense plus à rien (tout se concentre et se décentre dans le même mouvement). Pendant que je vois une petite fille qui pleure, j’ai le cœur froissé, ses larmes coulent en moi et me peinent. Pendant que je photographie des gens à la volée, sans leur consentement, mon cœur se met à battre plus fort. Pendant que tu assistes à la dispute violente d’un couple dans la rue, la gêne des regards fuyants. Pendant que je cherche une banque ouverte dans le quartier, le temps file. Pendant que j’aperçois un chantier en cours, une friche en ville, une dent creuse, je me sens obligé de photographier le lieu pour en garder une trace et revenir plusieurs mois après vérifier comment l’endroit s’est transformé. Pendant que je me lave les mains je pense systématiquement à ma fille ainée. Pendant que je regarde le ciel, si un avion traverse l’espace en laissant une traînée blanche, je me souviens de mon ami d’enfance, Stéphan Menard, qui guettait les avions en cas d’accident. Pendant que je dors, nos corps dialoguent en silence. Pendant que je téléphone, j’entends dans le combiné ce que me dit mon interlocuteur en même temps que ce que les gens autour de moi perçoivent de ma communication. Pendant que je fais chauffer de l’eau pour un thé, je pense toujours à Nina pour laquelle nous avons gardé plusieurs années durant les sachets de nos infusions pour un travail artistique. Pendant que la lumière décline, la mélancolie s’impose. Pendant que tu me regardes, je te vois.

#11 J’ai toujours été attiré par ce qui sort des sentiers battus, avancer en aveugle dans une histoire que je ne connais pas, les livres à la structure narrative non-linéaire. Dans ma bibliothèque, les romans se mêlent au livres de poésie, les livres de photographie côtoient le cinéma. Certains livres ont une place de choix sur le rayonnage près de mon bureau. Vie et opinion de Tristram Shandy, gentilhomme de Sterne. Ulysse et Finnegans Wake de Joyce. Fictions de Borges. L’épais volume de Marelle de Cortázar. Un roman interactif, mais surtout un roman polyphonique. Dans mes textes, je cherche une forme d’écriture nouvelle qui interroge le temps, car le temps de la lecture y est remis en cause.

#12 Tenir le jour loin de soi. Dans l’incertitude. En retard sur l’ordre. Dans cette pièce sombre que tu dois traverser. Les mots se bousculent, les émotions chavirent. Avancer à tâtons dans le noir. En aveugle. S’aider du mur pour progresser dans l’obscurité. Des voix s’élèvent autour de toi. En un souffle. Les yeux s’habituent peu à peu à la faible luminosité. Tu perçois l’issue. Le silence blesse tes mots. Couper court à tout battement. À chacun sa façon de résister. Le moindre bruit comme foule en émeute. Idées derrière la tête. Tout en dessous. Dans la profondeur de ce présent qu’il faut inventer, raviver, faire revenir à soi, d’un éclair pour que jaillisse la lumière.

#13 Une femme tournait sur elle-même au milieu de la place pavée, déboussolée, perdue, elle répétait le prénom d’un garçon, Alexis, dans sa voix l’indice d’une peur incontrôlable, elle cherchait son petit-fils sans se déplacer pour autant, tétanisée par cette disparition, lorsqu’elle a répondu à un homme assis sur un banc qui s’inquiétait de savoir à quoi ressemblait le garçon, son âge, les vêtements qu’il portait, j’entendais dans la voix tremblotante de la femme son inquiétude grandissante et, comme en écho lointain, la réponse d’un garçon qui jouait, à quelques mètres de là, dans le square attenant, caché derrière une haie d’arbustes, revenant vers elle, à la voix.

#14 Éclair de soleil qui ricoche entre deux averses sur la vitre humide d’une voiture qui se gare. Un éclat ruisselant. Le vent siffle. Les nuages cotonneux filent dans le ciel à vive allure. Un oiseau traverse l’espace au-dessus de ma tête. Dans la trajectoire de son envol. Le bruit de ses ailes qui claquent. Un inconnu me frôle à peine sur le trottoir. Une feuille se détache d’un arbre. L’esquisse de sa chute. La forme d’une main. J’ai fermé les yeux. Tout ce qui bougeait autour de moi s’est révélé en mode filé dans la boîte noire de mon cerveau. Un instantané imprécis et fugace.

#15 T’as le pied de micro, mais pas le micro ! Ça s’est cumulé avec le reste. Manifestement le CD de Milène Farmer ne passe plus ! Encore ? Il est mort ? J’ai fait la mise à jour de l’agenda. C’est l’heure du café. Je suis un peu reluctante aux réseaux sociaux. Là, je suis bon. Tu peux regarder dans le Commun. D’après ce que j’ai cru comprendre, c’est acoustique. On en parle ensemble toute à l’heure. Si tu veux, je te le mets sur ton bureau. C’est rien de dire que ça me tente ! Y’a un vibraphone. Les sons sont dissonants ! C’est peut-être pas indispensable. En vrai, je suis en plein aquoibonisme en ce moment.

#16 Doudoune bleu tissu serré finition lisse assortie au jean et baskets casquette vissée sur la tête | long manteau noir pur laine vierge bottines en cuir de veau verni aux bouts arrondis fermées par un zip au niveau du talon | longue parka noir avec capuche dont le zip au milieu trace une ligne ocre qui attire l’œil | veste de survêtement blanc avec l’écusson de la marque Adidas griffé sur la poitrine pantalon de toile vert kaki | veste en jean bleu foncé par-dessus un sweat-shirt à capuche rose fluo à poche kangourou en accord avec ses baskets blanche et rose | veste militaire pantalon vert clair élimé bonnet gris en laine douce côtelée | long manteau laine et cachemire noir avec fermeture à glissière petite martingale dans le dos tchador sur la tête | Blouson de travail à haute visibilité jaune marine avec bande réfléchissante sur lequel on peut lire au dos le nom de la société de travaux publics URBAINE

#17 Briser à la hache le goudron du sol bitumé pour laisser pousser les herbes folles. Changer les couleurs des feux de signalisation, du rouge au bleu, le jaune en rose et l’orange au violet. Transformer tous les potelets urbains en statuaire. Construire des cabanes dans les arbres des cimetières. Créer des passerelles entre tous les immeubles pour faciliter une traversée de la ville en suspens. Éteindre tous les lampadaires de la ville à la nuit tombée. Détruire les immeubles devenus trop anciens pour multiplier les terrains vagues. Interdire les voitures en ville. Inciter les échanges d’appartement le temps d’un week-end.

#18 « L’écriture même était devenue un fardeau. J’aurais aimé qu’elle soit magique, qu’elle ait le pouvoir de modifier les choses, de leur donner du sens, mais elle n’était qu’un regard, rien de plus qu’une façon d’être. Je ne supportais plus son ambivalence. Qu’elle soit à la fois la preuve irréfutable de mon humanité et le signe flagrant de mon anachronisme. Elle pouvait me trahir à tout moment. Je devais la remplacer, m’inventer une vie, un monde, qui se passe des mots.

#19 Un père salue une mère de famille qui accompagne son enfant en poussette à la crèche. Bonjour Gustave. Devant sa guitoune, le vigile à l’entrée de l’hôpital te salue d’un signe de tête. L’agente d’accueil t’indique le chemin à suivre pour ton rendez-vous. Vous passez les portes, vous tournez à gauche, c’est au fond du couloir, porte 12. La secrétaire médicale t’imprime une page d’autocollants à ton nom en te demandant d’attendre dans le couloir. Les patients s’impatientent. Les médecins vont et viennent, en appelant leurs patients par leur nom. La jeune interne en urologie constitue ton dossier médical en attendant que le professeur revienne dans le cabinet. Son sourire transparaît sous le masque chirurgical quand tu lui dis qu’elle peut garder le DVD de l’IRM de ta prostate. Le chirurgien urologue pratique son examen avec doigté. Le soin qu’il prend à t’expliquer les deux options, selon que tu es optimiste ou non. Son sourire au moment de lui confirmer sans détours que tu es optimiste et qu’il te tend l’ordonnance pour une prochaine prise de sang. Les échanges de regards avec les personnes croisées dans le dédale des allées de l’hôpital. Fatiguées, hébétées, habituées et professionnelles. L’affichage indique CAISSES et SORTIE. Au moment d’arriver dans le hall, il n’y a plus qu’un panneau : ADMISSIONS. Reconnaître dans la salle d’attente, au milieu d’une dizaine d’autres personnes, la poétesse Véronique Pittolo. Les yeux rivés en l’air sur le panneau lumineux qui égrène les numéros des patients en attente. Le numéro 851 clignote enfin, guichet n°9. L’assistante médicale t’accueille derrière sa vitre protectrice. C’est votre première fois ? À la réponse oui, elle te prie de lui transmettre l’ensemble des papiers nécessaires à la constitution de ton dossier administratif. Carte d’identité, carte vitale, carte de mutuelle. Tu ne sais pas pourquoi, la question revient une deuxième fois : êtes-vous marié ? En sortant de l’hôpital, tu envoies un SMS à ta femme. Assis sur un banc, un vieil homme te dévisage comme s’il attendait un signe de toi. Il laisse tomber par terre son parapluie dans un bruit mat. Ton téléphone s’allume à nouveau après plusieurs messages échangés en marchant dans la rue. Tu souris en lisant cette phrase saisie à la volée : Et en plus ça se lève !

#21 Dans la chambre plongée dans l’obscurité, se lever non sans mal. Sans repère difficile de se mouvoir, d’attraper dans le noir les vêtements pour se vêtir. Du mal à s’y retrouver. Encore à demi endormi, la conjonction de deux éléments imprévus te font sursauter : la voix de ta femme que tu croyais endormie, qui te demande de laisser la porte de la chambre ouverte, et la lumière du salon, que ta fille allume en se levant. Le cœur qui bat. Et toute la journée, plus rien ne semble aussi accordé que cet instant. Tout se déplace, t’échappe, te fuis, te glisse entre les mains.

#22 Celui qui déplace les ouvrages qu’il aime sur les étagères de retour de sa bibliothèque, parce que les usagers privilégient tout particulièrement ces livres à l’emprunt. Celui qui avait eu le projet de déchirer toutes les pages 48 de la bibliothèque de Boston. Celui qui lui rendit hommage quelques années plus tard en enregistrant la lecture de pages 48 de très nombreux livres diffusée sur Internet. Celui qui volait des livres en librairie mais qu’il replaçait au même endroit le lendemain après lecture. Celle qui déposait les livres qu’elle aimait sur les rayonnages des bibliothèques qu’elle fréquentait. Celui qui volait les livres de ses amis et les remplaçait par d’autres livres sans leur en parler. Celui qui caviardait les pages des livres pour composer des poèmes express. Celui qui au café donnait le livre qu’il venait de terminer de lire à la première personne à ses côtés. Celui qui juxtaposait des livres en pile pour créer avec leurs titres un court poème. Celui qui enlevait tous les vieux livres déposés dans les boites à livre de sa ville, pour des livres récents, qu’il venait d’acheter en librairie.


« Une fois, je rapportai d’un voyage en chemin de fer un infect roman policier dont la couverture portait une araignée rouge au milieu de sa toile noire. Lydia le feuilleta et le trouva terriblement passionnant… elle sentit qu’elle ne pourrait absolument pas s’empêcher de regarder la fin, mais comme cela aurait tout gâté, elle ferma les yeux et déchira le dos du volume, divisant le livre en deux parties dont elle cacha la seconde, celle qui contenait le dénouement ; puis, plus tard, elle oublia l’endroit et pendant longtemps, longtemps, elle explora la maison cherchant le criminel qu’elle-même avait caché, tout en répétant d’une petite voix : « c’était si bouleversant, si terriblement bouleversant ; je sais que je mourrai si je découvre pas… » »

La méprise, Vladimir Nabokov

#23 Un message de Lucien Suel pour commencer la journée. J’ai regardé 4 vidéos des vases communicants sur lesquelles j’ai écrit un texte sur le blog Littératube. J’ai proposé une initiation sur les livres numériques à la bibliothèque. Un fonds de 20020 livres numériques accessibles gratuitement. Sur Twitter, une publication des bibliothèques de Paris : Comptons ensemble jusqu’en 2023 ! L’occasion de me rendre compte que mes vidéos sur YouTube ont enregistré 83 019 vues en 2022. J’ai diffusé 21 épisodes sur mon podcast de lectures versatiles, écouté dans 14 pays pour un total de 263 minutes.

#24 Devant l’écran d’ordinateur. Derrière la fenêtre, le ciel gris. Terne et froid. Le paysage s’est refermé sur lui-même. Pas d’ombre dehors pour indiquer l’heure qui avance. S’agiter, s’activer pour ne pas attendre, c’est attendre tout de même. Dans le mouvement. L’effervescence des gestes. Quelqu’un dit soudain : Pardon, je n’ai pas regardé. Une feuille tombe du platane. Son mouvement au ralenti. Rien ne peut l’arrêter. Et soudain, c’est la nuit.

#25 endolori par le froid — le bras tendu dans le geste d’écrire — la peau sèche — l’épaule droite s’affaisse avec le temps — l’esquisse d’un mouvement — lever le bras — attraper un verre d’eau une tasse de café — le nerf affleure électrique dans sa décharge aiguë — crépitements sourds des os — cervicales qui craquent — sans savoir comment — reprendre place — l’équilibre instable du corps devant l’écran — le froid de la pièce — moulinets pour se réchauffer — le corps tendu comme un arc de verre — les frissons s’élèvent et grondent — l’immobilité de celui qui écrit met le monde en mouvement

#26 Toute la journée seul à la maison. Devant rien que le clavier, la souris, l’ordinateur, son rectangle de lumière. Remonter le temps devant l’écran à la recherche d’images disparues, le jour dans sa grisaille, au loin. Musique. Si peu de lumière. Une toile de fond. Je remonte le temps, jusqu’à trouver l’équilibre entre temps perdu et images de mon site à récupérer dans la mémoire de mon disque dur. Les lampadaires dans la cour de l’immeuble s’allument. À distance. Dans le flou et le froid. Tout ce qui se passe dans la tête lorsque le corps travaille, pensées en arrière plan.

#27 Tu ne cherches pas à le cacher, tout est accessible selon toi, motus. Tu changes de sujet un peu gêné. Elle voit clair dans ton jeu mais n’en saisit pas la raison. Cet écart entre ce que tu dis et ce que tu es. Tout pourrait être si simple, mais tu sépares ton travail et ce que tu écris. Sur la réserve. En retrait. Tu sais que tu lui diras un jour, le laisses entendre. Mais pourquoi attendre ? Ce n’est pas le lieu. Il ne faut pas mélanger. Pour soi, pour les autres ? Tu baisses les yeux. Je ne sais pas pourquoi. Elle te remercie pour le cadeau. Les yeux brillants. On pourra te lire bientôt ?

#28 ce qui obsède n’arrête pas de revenir à la surface s’en va revient tout aussi vite nous maintient malgré tout à la limite de flottaison dans cette confusion une lumière faible hésitante discrète vacille tout au bout c’est une idée l’esquisse d’un projet qui nous empêche de sombrer il faut réussir à la saisir s’en emparer la canaliser la traduire en trouvant et les mots et le temps de s’accorder à leur rythme pour se projeter dans ce mouvement régulier cette issue qui se dessine en se délestant momentanément de ce qui entête pour s’y consacrer dans l’écriture et s’en libérer

#29 Il se place devant le tableau, n’en connaît rien, l’observe avec attention, pénètre à l’intérieur et nous en parle. Le sourire de Christophe, comme si c’était hier. Nous n’avons pas changé. Nos cheveux sont devenus gris. Elle me sourit, me reconnaît. Un prétexte étrange. La solution technique est simple, le temps presse, on ne peut la voir. Le froid aiguise ses piques acérées. Pour les éditrices présentes ce matin, tout a commencé dans leur enfance en entrant dans une bibliothèque. Le bruit du monde est un papier froissé. On n’accouche pas dans les voitures des autres.

#30 Son corps, à peine on le devinait dans ce fatras de tissus mêlés qui lui servait d’abri, dormant à même le sol, le front plaqué contre le mur froid, emmitouflé dans ses vêtements sales qui lui collaient à la peau, dérisoire armure, cherchant vainement un peu de chaleur, de sommeil, malgré le bruit de la rue, les jambes repliées contre le ventre, bras et mains jointes sur sa frêle poitrine, gisant dans l’indifférence générale. Apprendre sa mort par un voisin, voir sa valise abandonnée, ses couvertures encrassées roulées en boule, trace de sa présence et de sa disparition.

#31 Cette pression insensée sans savoir où fermé dans le blanc invisible du jour l’âpreté des sens dans l’attente insupportable de ce qui ne vient pas ne viendra jamais qui fait défaut sans savoir pourquoi. Ne plus y penser mais effacer jadis jusqu’aux souvenirs de la veille et les rêves aux oubliettes évacués se fixer ailleurs pour seul objectif et tenter d’y croire contre toute attente oui pour tout voir autrement décidément l’espace d’un instant tout est interminable. Avancer malgré tout pour combler ce vide en soi cet appel d’air étrange sans éviter le pire du jamais vu.


#32 Une porte ouverte sur un jardin. Un livre au hasard, lire une page, tout le livre est là. À chaque fois que j’écris. Sous la douche, deux ou trois douches par semaine c’est bien assez. Devant un tableau de Fra Angelico. Une photographie de Denis Roche. Deux fois du temps, une pour dire qu’elle s’en saisit et une autre pour dire qu’il est passé. Un nuage dans le ciel. Tout objet du monde, lieu ou corps, visage et regard. En pensant aux romans de Jean Giono ou de Victor Hugo. En m’endormant au cinéma. Sa voix me manque chaque jour. Sa pointe d’accent. Ce sourire et le bleu de ses yeux.

#33 Fermer les yeux. Ne plus penser à rien. Effacer les unes après les autres toutes les images qui nous ont accaparées dans la journée, oublier les bruits assourdissants, les pensées envahissantes, les phrases abandonnées en cours de route, à contresens. Inspirer. Le temps s’arrête brusquement. Soudain, plus de visage, plus de présence. Instant insaisissable où l’on se tient debout mais instable, sur le seuil, dans la chambre d’écho du jour. La nuit seule ne suffit plus à nous faire traverser ce rêve. Dans l’intervalle ce vacillement qui nous emporte. Ouvrir les yeux.

#34 Tu arrives à 15h. La jeune femme à l’accueil t’affirme que le kiné est déjà pris. Tu as rendez-vous dans une demi-heure. Lorsque tu reviens, ton kiné est désolé, l’heure du rendez-vous est passée. Une patiente arrivée avec une heure d’avance a pris ton tour. La personne à l’accueil n’a pas vérifié le nom sur le planning. Tu dois attendre encore une demi-heure, car le patient qui avait rendez-vous vient d’arriver. Le kiné le salue : Bonjour Monsieur Ménard. Une histoire de planning et de temps perdu, de quiproquos et de contretemps, comme on en voit dans les films de Rohmer.

#35 Un blanc. C’est un vide, comme un trou de mémoire. Une absence passagère. Tu es en train de parler et soudain tu ne sais plus ce que tu veux lui dire. Un gouffre s’ouvre devant toi. Une voix t’appelle que tu n’entends pas. Rien que des échos, des accolements et des juxtapositions. Le temps tourbillonne alentour. Un blanc qui t’assaille, t’envahit de sa blancheur. La peur peut-être, qui ne se dit pas. Entre silence et parole. Dans le vertige, le vide t’attire vers lui. Ce qu’il est possible ou impossible d’atteindre, ce qui se rétracte. Ton visage face au miroir qui s’efface.

#37 J’ai toujours été fasciné par ceux qui parviennent à se souvenir de longs textes, les acteurs bien sûr, mais aussi ceux qu’un texte entête, je garde en mémoire par exemple la scène envoûtante de Joachim Séné, nous reconduisant en voiture vers Paris sur l’autoroute, à la nuit tombante, récitant l’intégralité du Bateau ivre et nous à l’arrière avec Anne Savelli, nous étions transportés, et dans la folle allure de la voiture qui filait dans l’obscurité, et dans les mots de Rimbaud portés par la voix de Joachim qui se souvenait de chaque vers, je ne pouvais que penser à cette scène fascinante qui me bouleverse à chaque fois que je revois l’adaptation du livre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury par François Truffaut, où le personnage principal interprété par Oskar Werner, pompier qui se rebelle contre les autodafés de livres, parvient à s’échapper de la ville et se laisse porter le long du fleuve pour rencontrer les membres d’une communauté itinérante qui habitent sur les routes, le long de vieux chemins de fer rouillés, ces femmes et ces hommes qui vivent à l’abri des sous-bois ont appris un livre par cœur afin de le sauver de l’oubli auquel il était promis, et cette fascination s’exerce sur moi justement parce que je n’ai jamais réussi à bien mémoriser les phrases des textes que je lisais, j’aimais la poésie mais quel supplice de devoir répéter les strophes du poème pour espérer m’en souvenir ; j’ai beau chercher des fragments de textes, quelques mots seulement reviennent, mais je ne les ai pas vraiment gardé en mémoire, une phrase par ci, un vers par là ; je me rends compte qu’il n’y a que le texte quand il est chanté que je parviens à mémoriser, et dès que j’entends les premières mesures de la chanson d’Alain Bashung, ce sont les nombreux souvenirs de départ en vacances, en voiture l’été, avec les filles qui chantaient à tue-tête qui reviennent immédiatement à la surface, la joie intense des départs, c’était notre chanson, La nuit je mens, écrite par Alain Bashung et Jean Fauque, une chanson dont les paroles aux images puissantes et énigmatiques nous transportaient et nous bouleversent encore aujourd’hui, avec le temps : J’ai dans les bottes / Des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho / Où subsiste encore ton écho.

#38 Je cours beaucoup. Je ne sais jamais après quoi. Toujours penché près du sol. L’impression que la vitesse seule m’empêche de tomber. Je n’arrive jamais à prendre ce que je vois en photo ou même à filmer ce que je souhaite. Les paysages comme certains visages se dérobent sous mes yeux. Je ne peux plus les regarder. Ils disparaissent tandis que monte en moi la sensation frustrante de mon index buttant sur l’interrupteur, sa rigidité, ça bloque, ça ne passe plus. La rage monte en moi, sourde. Voix qui murmurent, je n’entends qu’un bruit de papier froissé. Une bibliothèque se prolonge en plage. Un arbre s’étire en immeuble. Ma main dans la tienne.

#39

dans l’air
où ça m’arrive là-bas
s’effeuiller lentement comme une triste couronne
supportable
dans ses yeux clairs
sur mon chemin
de ma mère
nécessaire tendresse
dans le présent

vide
au milieu de la chaussée
un passage à vide
sur son agenda
jusqu’à ce qu’il soit l’heure du retour
en cage
sans horaires prévisibles
et presque d’orgueil
de consolation et d’espoir

sur toute la ligne
ce qu’elle doit garder intact
de volumes informes
près de la fenêtre
un motif de réflexion, de recherche et même d’inquiétude
sur l’ombre elle-même
les lumières d’une ville
sur le seuil
d’ombres

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire

71 commentaires à propos de “carnets individuels | Pierre Ménard”

  1. La rencontre impromptue avec l’ami me renvoie à celle de Tarkos au début d’anachronisme, que je lisais ce matin avant d’écrire. « J’ai failli ne rencontrer personne ».
    Heureux de vous savoir ici…

  2. Cher Anh Mat, chaque jour je pourrais dire comme Tarkos, mais hier, exceptionnellement j’ai rencontré par hasard plusieurs personnes que je connais mais que je ne vois que très rarement à la bibliothèque. Ce matin, en allant travailler j’ai pensé à nos vases communicants avec émotion. Vos vidéos me manquent !

  3. il y est toujours je crois à côté du cimetière, sur le trottoir d’en face, en face aussi du supermarché, sous une tente à agiter sa sébile en carton au passage des pékins

  4. écho avec J.Tholomé qui pour un instant « ne veut rien savoir de la misère du monde »… c’est étrange et beau comme certaines notes se croisent et discutent entre elles. Encore plus impressionant quand on lit toutes les contributions les unes après les autres…

    • Merci beaucoup pour ce retour, j’avoue que pour l’instant je n’ai pas encore eu le temps de lire les textes réunis pour voir les échos et correspondances entre les différentes contributions, je n’ai lu que certains textes de manière épisodique. Je vais faire l’expérience.

    • Merci Gracia, cela me fascine toujours autant ce réveil interne qui nous réveille avant l’heure, juste avant, pour ne pas être en retard. Très heureux moi aussi de pouvoir te lire ici, dans ces carnets partagés avec ceux des autres et les nombreux échos qu’ils provoquent en nous.

  5. Salut, je voulais simplement dire une petite remarque: C’est fou à quel point je ne peux te lire qu’avec le son, le timbre et le rythme de ta voix en tête! (comme si ta syntaxe traduisait le rythme de ta parole)

  6. Salut Yan, c’est sympa de te retrouver ici. Très touché par ta remarque. J’aime les voix, j’aime les écouter, les reconnaître, c’est ce qui me plaît dans la découverte des lectures d’auteurs, les performances, on entre dans l’intimité de l’auteur, son rythme si particulier, ce qu’on retrouve généralement dans ses textes. Ravi que tu saisisses cela dans ces courts textes.

    • Comme je l’écris dans le texte du jour : Pendant que je relis mon texte d’hier, j’ai la sensation d’être passé à côté de ce que je voulais exprimer mais d’avoir en même temps ouvert une porte secrète derrière laquelle il faudra que j’aille explorer. Le rire du rêve ne trouvait pas sa réponse dans le rire du jour, juste dans une issue possible, entrevue, plus un sourire qu’un rire.

    • Merci beaucoup Anne-Sophie, c’est un texte qui se déplie dans l’accumulation et la répétition, difficile de se limiter aux 480 caractères. Mais dans la longueur, on peut saisir en effet, par chance ou par attention, un éclair de lumière.

  7. C’est interdit d’écrire une telle quantité de « pendant », si au moins en les lisant on s’ennuyait, si on ne voyait pas la danse du monde, si la musique n’était pas juste, peut-être qu’il aurait autorisé d’en écrire autant, mais là, je relis ma contribution et je puis passe une annonce sur le bon coin pour revendre mon Mac. La voici , le prix 250 euros, Description:
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    • Très touché Laurent, j’aime beaucoup la contrainte des 480 caractères que je respecte très scrupuleusement d’habitude mais comme François nous y a incité, qu’au bureau j’avais un peu de temps aujourd’hui et comme le clavier de mon MAC à la maison fait des siennes (plus de k, de i, de l, de o), j’en ai un peu profité pour aller plus loin.

  8. explorer malgré l’impression de ne pas avoir réussi à dire.
    J’ai lu il y a peu Tenir sa langue et ai aimé la verve gouaille pour dire les langues! 🙂

  9. Ce 12 me rappelle lotion aveugle invoqué par Claude Simon… C’est bien dans la nuit que tout se passe, et avec un peu de chance, nait… Et moi aussi, impressionnée par tous ces pendant…

    • Merci beaucoup Catherine, Orion aveugle, de Claude Simon, un incontournable : « Je ne connais pour ma part d’autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c’est à dire mot après mot, par le cheminement même de l’écriture. »

  10. Un temps suspendu par l’angoisse, ou la folie, ou les deux, dans cette #13 que le lis en retenant ma respiration. La compile fera le bonheur des apnéistes et des cardiologues…

    • Merci beaucoup Jean-Luc, c’est vrai que cette proposition incite tout particulièrement à densifier une rencontre, un regard, un geste, pour en rendre l’essentiel en quelques mots, ce qui suspend le récit en un temps hors du temps, qui s’étire alors qu’il n’a duré que l’espace d’un instant.

    • Merci beaucoup Brigitte, finalement les deux scènes sont très liées, il suffit parfois de fermer l’œil une seconde et tout file autour de soi sans même qu’on s’en rende compte. L’impression que rien n’a changé, mais en fait rien n’est plus pareil.

  11. et donc le (ton) dispositif rapporte en fin celui du jour précédent pour laisser place à celui du jour – j’ai commencé par la 13 (aujourd’hui) (je ne voyais pas une grand-mère au début, mais Björk ou quelqu’une comme ça) – non mais on ne se perd que peu (et c’est vraiment bien) – le soleil sur les vitres comme la haie cachent un peu une réalité légère (heureusement)

    • Oui Piero, je ne me résous pas à diffuser ici tous les textes à l’envers, sur mon blog ça ne me gêne pas mais là c’est intéressant de lire aussi les textes dans la continuité. Mais pour faciliter la lecture du dernier texte écrit, je le place chaque jour devant les autres, pour qu’il soit lisible avant même qu’on ‘ouvre la page. Et oui tu as raison, qu’il s’agisse du soleil sur les vitres ou d’une haie dans un square c’est toujours une histoire de réalité cachée (même légère, même illusoire).

    • Mais tout à fait Caroline ! Je n’arrivais pas à me concentrer sur mon travail, mes collègues de la disco n’arrêtaient pas de parler dans l’open space de la bibliothèque, j’ai commencé à noter sur un papier ce qu’ils se disaient pour n’en garder finalement qu’une toute petite partie. De vraies pipelettes ce matin !

    • Merci Catherine pour ce retour très positif. L’écriture comme la lecture sont histoires de partage, le livre qui est au cœur de cet échange créatif est forcément à l’origine de belles rencontres et de découvertes. Les textes écrits par les participants sur cette séance le prouvent avec générosité.

  12. Tant de façon de jouer avec les autres autour des livres en prenant une bibliothèque, une ville voire internet pour terrain de jeux. Ça donne des idées.

    • Merci Jean-Luc, le terrain de jeu est sans fin. Un livre devient un autre livre à chaque fois que nous le lisons. Une ville c’est pareille invention, voyage à travers le temps, chaque parcours la transforme.
      J’ai travaillé pendant plusieurs années sur un projet d’application (que je n’ai pas pu développer malheureusement au-delà d’un prototype faute de financement) autour d’un texte qui se déroulait sur l’île Saint-Louis et qui consistait à marcher dans les rues comme entre les pages d’un livre, en garder une trace, avec cet étonnement de voir, au fil du temps, se dessiner un chemin qui n’existait pas au moment de notre trajet : Les lignes de désir. Un projet transmédia aux frontières du livre, des nouvelles technologies et de l’art urbain, une réflexion autour de la forme du livre à l’ère du numérique permettant de découvrir la fiction puis de composer sa version de l’histoire en marchant, de manière ludique et originale.

    • Écrire un livre c’est s’exposer à l’attention et à la critique des autres, il en est de même pour le lecteur, lorsqu’il offre un livre qu’il a aimé lire, c’est un peu comme s’il en était l’auteur et qu’il l’offrait, tel un prolongement de lui-même.

  13. « le corps tendu comme un arc de verre » la fragilité en devenir, comme si dans l’acte d’écrire le corps allait lâcher.
    Et finalement je me demande si la dernière phrase à propos de l’immobilité et de la mobilité du monde, ne me sort pas un peu des mots. je ne suis pas certain.

    • Merci Simon, je comprends votre questionnement et votre ressenti, ces mots sont extraits d’un texte de Claude Royet-Journoud, « La poésie entière est préposition », paru éditions Éric Pesty : « L’immobilité de celui qui écrit met le monde en mouvement.
      C’est dans la mesure même où l’on est arrêté dans une immobilité voyeuse que les choses sont mobiles. La pensée aussi n’existe que par rapport à un arrêt qui est un blanc. Joël Bousquet a écrit : ce paralytique a fait un trou dans l’espace. Écrire, c’est faire ce trou dans l’espace. Tout part de l’immobilité, de ce travail corporel. Le funambule a le même problème, il tente de réunir le mouvement et l’arrêt, de trouver le juste équilibre entre eux « .

      • merci, je comprends mieux.
        cela me fait penser, il me semble qu’il y avait quelque chose à propos d’un funambule entre deux tours, pendant mes années de philo (lointaines), et je me demande si ce n’était pas chez Nietzsche, je n’arrive pas à me souvenir…
        le texte que vous mettez en commentaires est vraiment très beau, toujours essayer de définir l’acte et de quoi les choses sont le nom.

  14. merci pour le rouge nacarat (connaissais pas)

    sinon très beau cet assemblage, parfois on dirait presque des pages de scénario (pour un film qui promet), se dessine un carnet sensible et prenant avec une atmosphère qui me fait penser à ton journal vidéo

    • Très touché, merci beaucoup Alice pour ta lecture. L’assemblage est très lié ici aux pistes d’écriture proposées par François, mais c’est vrai que l’ensemble me convient bien. J’aime les fragments et tenter de les assembler. Je crois que j’ai toujours fait ça. J’aime bien que tu y vois le scénario d’un film, ça me rappelle ce qui me fascinait tant dans les scénarios en images, textes et collages de Jean-Luc Godard.

    • Merci beaucoup Cécile, au départ j’avais oublié qu’il fallait travailler ce texte sur une seule phrase, mais il y avait heureusement dès le départ une certaine unité dans le texte, autour du mouvement.

  15. Belle évocation. J’ai voulu moi aussi apprendre par coeur le bateau ivre jusqu’à me rendre compte que la matière de mon apprentissage se transformait irrémédiablement en trou après quelques jours, faisant du poème de Rimbaud un morceau de gruyère indigeste. Je partage complètement ta frustration.

  16. Merci Jean-Luc, c’est un si beau poème Le Bateau ivre, je comprends qu’on veuille l’apprendre par cœur, mais c’est très dur et cela me laisse pantois mais admiratif. Je m’étonne que François n’est pas évoqué pour cette consigne d’écriture l’anecdote de Robbe-Grillet qui connaissait, dit-on, plusieurs pages du début de La Recherche du temps perdu.

  17. quelle chance avons que vous ne reteniez pas les vers (moi non plus sauf quelques uns) parce que cela nous donne le plaisir du beau récit de ce voyage en écoutant le bateau ivre… et le reste

    • Merci beaucoup Brigitte, ce n’est pas vraiment une chance ce peu de mémoire, mais il faut faire avec ses forces et ses faiblesses et tenter si possible de transformer ses faiblesses en force. Et oui pour moi désormais Le Bateau ivre est une voiture qui file dans la nuit à vive allure !

    • Merci beaucoup Nathalie, et à plus d’un titre je dois avouer, je n’ai pas pris le temps de te le dire en commentaire mais à chaque fois que je ne comprenais pas la proposition de François j’avais lire ton texte et tout s’éclairait.

    • Merci beaucoup Isabelle, tout est une question de rythme et de mouvement, de dynamisme et de régularité, de variations et de rebonds, bref de temps et de constance.

  18. Je viens de lire votre #40 et souscris à quasi tout, mais ai sourcillé devant « maudire le saut de ligne et favoriser le bloc » n’en comprenant pas la raison. Ai voulu comprendre et ai remanié mon dernier texte qui multipliait (tiens donc!) les sauts de lignes. Et le texte y gagne en densité je crois. Sans comprendre pourquoi. Je sais que François Bon nous a plusieurs fois demandé d’écrire des blocs. Y a-t-il une école, ou une théorie à ce propos?
    Quoi qu’il en soit, je retiens aussi le conseil de copier un passage d’un texte qu’on aime en cas de blocage, pour s’imprégner d’un autre rythme. J’essaierai. Merci à vous.

    • Merci Betty pour votre commentaire. Sur le saut de ligne, je suis sur la même longueur d’onde que François, c’est une question de tension et d’unité du texte. On peut toujours reprendre le bloc pour le découper a posteriori, mais au moment d’écrire il ne faut pas interrompre le mouvement du texte, son élan.

  19. Merci Philippe pour les instructions du 40, j’en ai recopié quelques unes dans mon carnet. Je suis très inspirée par travailler le fragment, torturer la syntaxe, associer la lecture à notre processus d’écriture.. plein d’idées stimulantes, merci. Pourquoi oublier l’imparfait?? Trop planplan? trop entendu?

    • Merci beaucoup Irène pour ce retour enthousiaste. Oui, le fragment au quotidien c’est parfait. On peut très bien relier ensuite tous ces fragments disparates en apparence pour les unir dans un second temps d’écriture. L’imparfait c’est déjà une histoire, un récit très écrit, ça fige dans un genre très circonscrit, au quotidien on a besoin de lâcher les chevaux, de se libérer et d’écrire beaucoup et plus on écrit mieux c’est, l’écriture se nourrit de lecture, d’écriture et d’observations (en soi et autour de soi).