autobiographies #04 | 8805 Girardin

SAINT- LÉONARD

Plongée dans l’inconnu. 

Un continent inconnu, une ville inconnue, une famille inconnue.

8805, un numéro comme on n’en trouvait jamais en France. Les questions que pose cette adresse, précieux sésame, papier rangé près de mon passeport.  Une rue sans fin ? Combien de temps pour la parcourir ? 

Je débarque après avoir survolé de nuit l’Atlantique. La Manche, je connais,  plusieurs séjours en Angleterre. 

Arrivée à New-York : Aéroport John-F.-Kennedy, baptisé ainsi depuis le 24 décembre 1963. J’avais pris les billets les moins chers pour mon budget d’étudiante serré. Appréhension à la descente de l’avion, en raison de la mythologie de New-York, ville dangereuse au taux de criminalité élevé. Même dans le taxi jaune ( la Compagnie reconnue), qui me conduit à la station des cars Greyhound , 625, 8th Avenue, adresse montrée au chauffeur pour être bien comprise, je suis sur mes gardes. Ce trajet met mon esprit d’aventurière à rude épreuve, livrée à un inconnu, ce chauffeur, dans la nuit, sans points de repère. 

Je n’étais pas venue pour New-York. Il n’y a que lorsque je fus calée dans mon siège de l’immense car caractérisé par le lévrier anglais que je commençais à me détendre. 

Premières lueurs sur les collines du Vermont, puis Montréal. Gigantisme des avenues, des zones résidentielles sans clôtures. Coquettes maisons espacées, au milieu de pelouses bien entretenues. Images de films américains avec James Dean. Gratte-ciels du centre ville près de la Gare Routière. Le Québec, c’était donc l’Amérique à l’époque où le quartier de la Défense à Paris, balbutiait avec ses quelques tours. Montréal, terminus. 

J’extrais mon sac à dos du coffre du car. Je transpire, chaleur moite. J’attends, je ne veux pas bouger car le seul repère pour celui qui doit me retrouver est mon n° de car et sa provenance. Pas de téléphone. À un moment donné, un adolescent, cheveux longs, mèche blonde sur le front, s’approche timidement de moi. 

  • Catherine ? 
  • Oui. 

On avait confié à ce garçon de quinze ans la corvée d’aller chercher « la blonde française » de son frère de plus de dix ans son ainé.  

Là, être juste guidée vers un autre bus. 

À la descente de l’autobus boulevard Bourassa, j’écarquille les yeux : les gigantesques centres commerciaux, les enseignes lumineuses,  Mac Donald,  Poulet Frit Kentucky… En même temps, je  me régale de cet accent qui m’est familier grâce à mon amoureux. La courtoisie, le chauffeur du bus qui dit «  Bonjour, comment allez-vous ? », les passagers alignés à l’arrêt, ils font la file. 

Quelques minutes de marche, on longe des terrains en friche.  

Patrice me précède dans une maison à un étage en briques blanches, légèrement surélevée. De chaque côté du perron central, au ras du sol, deux baies rectangulaires. 

Une belle femme châtain clair, à la coiffure bouclée impeccable, cheveux mi-longs laqués, grands yeux bleus, m’accueille. Une photo de Vogue des années 1960. Ongles manucurés, robe serrée à la taille. 

– Bonjour, je suis la mère de Gilles. Bienvenue. Venez, je vais vous montrer votre chambre. 

Je la suis dans le couloir en parquet clair qui sépare la maison en deux. Sur la droite, au fond, un escalier moquetté descend au sous-sol; Bruit de la chaufferie. Elle me montre à droite, la salle de lavage où trônent deux immenses machines : la « laveuse » et la « sécheuse ». Deux fois la taille de nos machines à laver en France. Quant aux « sécheuses », elles m’étaient inconnues. À côté, une pièce lambrissée, avec un lit une place, couvert d’un dessus de lit multicolore, tressé avec des morceaux de tissu. Une baie au ras du sol grillagée par une moustiquaire donne un peu de lumière. Le reste du sous-sol est occupé par une grande pièce, canapé fleuri, grande télévision, placards, deux guitares. 

– Avant, c’était la salle de jeu des enfants, maintenant, ils y écoutent de la musique. 

On remonte au rez-de-chaussée. Reprenant le couloir dans l’autre sens, j’ai le temps d’apercevoir  le jardin par la porte à demi vitrée. Quelques plants de tomates grimpent le long de tuteurs.

Retour vers l’entrée principale. À droite, la cuisine équipée avec son réfrigérateur congélateur gigantesque, sa cuisinière quatre feux avec double four. Sur le comptoir de chaque côté de l’évier, des appareils électroménagers inconnus et dont je découvrirai bientôt les noms : blender, toaster, machine à pop corn …

Pourquoi pas : 

« Une tourniquette  

Pour faire la vinaigrette

Un bel aérateur  

Pour bouffer les odeurs 

Des draps  qui chauffent

Un pistolet à gaufres. »

Rond-rond du ventilateur au-dessus de la grande table blanche en Formica. Dans le cendrier, un mégot de  cigarette blonde. Au sol devant l’évier, un tapis artisanal tressé avec des morceaux de  tissu de différentes couleurs. 

Le salon fait face à la cuisine de l’autre côté du couloir. Je découvre «  une chaise berçante » en bois ; en France, on dit rocking-chair, je n’en ai vu que dans les films. Un canapé face à la télévision encastrée dans un meuble vitrine en bois foncé vernis où sont rangés des verres. 

Sur le mur des portraits soignés, sous verre : des enfants et une photo de mariage. La photo d’une jeune-fille en toge noire et couvre chef noir comme un petit plateau, au plumet noir qui descend, m’intrigue. La jeune-fille tient à la main un parchemin blanc enroulé, entouré d’un ruban. 

C’est Michèle à sa remise de diplôme de fin d’école secondaire.Tu as peut-être faim ? On a passé l’heure du dîner. 

Pas encore remise de mon voyage ni du décalage horaire, j’accepte néanmoins. En quelques instants, pain de mie, tomates coupées en rondelles, un peu de salade, du fromage jaune  en tranches fines sous plastique sont posés sur la table.

Tu te sers. 

Je flotte dans « l’American Way of life », le confort moderne raillé par Boris Vian dans « La Complainte du Progrès. » Mais là, les sous-titres sont en français. Me reviennent les paroles d’une chanson de Gilles Vigneault : « Gens du pays, c’est votre tour de vous laisser parler d’amour. ».

Le 29 novembre 2021

A propos de Guillerot Catherine

Enfance entre Berry et région parisienne. Étudiante à Paris VIII Vincennes en littérature, philosophie et Français Langue Étrangère. Enseignante en Lycée Professionnel pendant 17 ans dans divers coins de France , puis en Collège et en Lycée. Quelques années à Mayotte dans l’Ocean Indien. Amoureuse des mots, du théâtre, de la nature. Voyageuse sur les océans et sur la terre. Ai écrit deux livres « Dialogue avec Jean » et « La traversée d’Ariane ». Fréquente la Maison Gueffier, à La Roche sur Yon lieu d’échanges et de rencontres extraordinaires avec des écrivains contemporains. Ai animé des ateliers d’écriture à la bibliothèque où je suis bénévole.