autobiographies #13 | elle, cette voix

Au téléphone, sa voix est douce, chaleureuse, attentive, pressée par le temps et l’espace. En famille, une voix de maîtresse qui ne doute pas, qui régente avec attention et avec brio, sûre de sa mission, soucieuse des résultats, dresseuse d’enfants, talent naturel, un regard des yeux gris acier qui ne doutent pas, parfois d’une voix métallique pour souligner, tous filent droit sans se rebeller, d’humeur égale, le plus souvent, elle enferme ses contrariétés au fond d’elle-même, tout au fond des entrailles, ventre noué, visage souriant, jusqu’à la dernière goutte qui fait déborder le vase, qui fait monter la colère, une colère que personne ne soupçonnait, un volcan qui explose, les mots une coulée de lave, bouillante, acérée, blessante, étouffante, des mots durs, sans mesure, autour d’elle, tout se taisait, il n’y avait rien à dire, à faire, qu’à attendre

une voix qui savait qui disait ce qu’il fallait faire, qui savait ce qui convenait, qui construisait la vie de son entourage, de ceux qu’elle aimait, de bonne foi, d’amour et d’énergie. Qui jugeait parfois sur un coup de tête des gens devenus indésirable, critique soutenue par des arguments très personnels fallacieux, mais irréversible, toute gentillesse envolée, annihilée, fermée à des remarques amicales, usant de sa voix la plus glaciale impersonnelle pour signifier un congé

une voix qui savait se taire aussi pour écouter, puis qui guidait, indiquait le chemin, les moyens d’action, qui jugeait, pour notre bien, tu n’es pas première en classe ce n’est pas possible il faut te reprendre quand on veut on peut, qui encourage en maniant la contrainte et l’amour filial, le raisonnement ou les promesses de punition. Une voix qui baisse avec l’énergie qui s’en va, qui connait le doute, qui s’interroge, qui abandonne, on ne les comprend plus, ces jeunes, c’est vraiment une autre génération, qui continue à aimer sans juger, désarmée, détachée des missions d’autrefois, un temps pour tout, pour elle, c’est la retraite, puis le déclin, la maladie, la voix qui change, tremble, baisse, frémit, s’éteint

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “autobiographies #13 | elle, cette voix”

  1. Une voix, des voix …
    des voix en une
    voix en paragraphes ouverts
    et l’extinction de cette voix
    Qui émeut

    • Merci, Nathalie, je n’ose pas toujours livrer mes émotions qui pourtant ont trouvé ici un écho, ça fait très plaisir….