autobiographies #08 | les grands cons

Sur le sol, les petits carreaux ; c’est tantôt noir, c’est tantôt bleu ; amples mouvements d’une eau ondoyant comme un sirop ; le chlore peut-être fait l’eau gluante ; pédiluve , étape, épreuve, crocodiles et bactéries, parcours segmenté initiatique ; panier surmonté d’un cintre, trop petit ; les vêtements, ça ne rentre pas ; le sac, conserver ou déposer ; le petit savon, la serviette, et puis et puis… ; la sécurité autour du poignet : le bracelet et la clé ; au bout du voyage il y a les chaussettes ; si tu tires le bon numéro, il y a les chaussettes ; il y a les pieds secs et l’air un peu trop froid sur la peau fripée des doigts ; le son répercuté sur l’eau, sur les murs, qui se diffuse et s’éclate, se duplique et vient de partout et luit comme l’eau ; la matière dégouline, il y a des gens debout avec une perche qui tracte des gens dans l’eau et qui disent des choses qui disent à ceux qui ont peur qu’il ne faut pas avoir peur ; avec colère, avec reproche ; il ne faut pas avoir peur bon sang et qu’ils la lâchent donc qu’ils la lâchent la putain de perche les vers sordides et barboteurs, qu’on en fasse des nageurs des vrais des du fond de l’Amazone, qu’on leur file des voraces et des piranhas ; les petits gesticulent et pleurent et s’accrochent sur le rebord arrondi où l’eau déborde et circule vers des trous obscurs ; c’est tantôt noir, c’est tantôt bleu ; les dames à lunettes ; le cordon de plastique qui enserre le crâne, la pulsation des veines ; brasse coulée, les petits carreaux, le sol loin, et puis au bout d’autres carreaux, la main qui se repose sur le rebord, le coup d’œil jeté à l’entour, la lumière et l’eau, le reflet des casiers ; lâcher la perche et fermer les yeux ; s’enfoncer, chercher les algues, glisser dans les conduits obscurs vers d’autres mondes égouts, bassins de rétention, loin des lumières, loin de tout, près de la surface, près de mes chaussettes, loin des grands cons.

En pente ; raide ; la jambe qui s’avance, glisse, l’éboulis ; les barrières de métal rouillé à l’entrée, les fils de fer torsadés ; de la végétation ? ; ne le sait ; silhouette assise, accroupie, pensive, les cheveux rabattus vers l’avant, genoux saignants, arcade sourcilière saignante, la terre sous les ongles ; mélange de terre, de cailloux, ravines et graviers, ornières et chevilles agiles ; les petits doigts, genoux, jambes : boueux ; silhouettes et mouvements, tantôt pensifs, tantôt frénétiques ; dégringoler le long de la pente ; le petit bruit qui gratte de la terre qui glisse ; près du mur le long duquel dégoulinent les tiges nues de la vigne vierge, une cabane, planches, branches, cordes et tout ce qui passe par là ; en face il y a la rue, la rue banale et le bureau de poste abandonné où règnent le silence, la poussière ; dehors la rue et puis là le trou, le terrain vague, fourmis, cloportes, gendarmes, carabes, grouillant sur la terre humide sous la pierre un temps soulevée ; le trou, le terrain vague, la vie précise, attentive, occupée ; les murs immenses et rouges, la pierre du Sud, dessous les carrières éventrant le sol ; et l’eau qui circule aussi ; le glissement de terrain toujours possible ; pas de balançoire, pas de tapis de jeu, un tuyau d’arrosage jaune noué tout là-haut pour se glisser dans le trou, pour s’en extirper ; au-delà la rue et des jardins entre des murs et des balançoires et des pelouses tondues ; là-bas les mains propres et les tasses de porcelaine, là-bas l’heure du goûter ; ici la terre sous les ongles, l’étoffe déchirée et le temps suspendu.

Le bois partout ; au sol le parquet, au mur le lambris ; la lumière qui tombe du velux ; le store beige ; la nuit est violette, la nuit est orange; dans les rues, l’automne, des lumières jaunes et des feuilles phosphorescentes ; le lit de bois ; le bureau de bois ; des livres ouverts et des livres fermés, le revêtement de plastique des livres scolaires, et puis des cahiers, l’odeur du plastique bleu, la transparence aquatique de la couverture, mais l’odeur surtout ; l’urine du chat mêlée de poussière, poudreuse, colle aux couvertures de plastique ; une commode de bois et des vêtements, des vêtements et des couleurs et des matières à mélanger ensemble ; comment pourquoi ; l’odeur des livres neufs et la texture lisse qui couine sous le doigt mouillé, qui couinerait, on ne les lèche pas les livres, on pourrait ; et pourquoi pas ? ; parce que… l’urine du chat, poudreuse, mêlée de poussière ; on pourrait ; des paravents de bois et une étoffe verte tirée dessus le paravent, des couleurs printanières, la lueur tombe du velux sur l’étoffe verte ; la texture lisse qui couine sous le doigt mouillé dans la chambre sous-marine ; des draps bordés que l’on emmêle ; la bouillotte qui brûle et l’odeur de caoutchouc ; au milieu de la pièce, une gueule ouverte, l’escalier s’enfonce dans le noir, raide, branlant, glissant ; les bruits du dessous, d’autres poissons plus gros, d’autres formes, d’autres lumières ; le lion rugit dit-on mais la vaisselle, que fait-elle ? grince, éructe, se racle comme une gorge ; bruits d’assiette que l’on empile et d’assiettes que l’on pose et de cuillers qui touillent et de casseroles aussi ; un peu sourds ; assourdis ; ici le mouvement sourd aussi de la terre qui tourne à l’orée du sommeil quand le corps s’affaisse.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

2 commentaires à propos de “autobiographies #08 | les grands cons”

  1. Magnifiques textes, le tour de force inattendue de la séance en piscine est vraiment réussi, rageur et réussi, mais le terrain vague et l’intérieur sont aussi très vivants.

  2. la perception des matières, éléments, odeurs, couleurs, sons, froid, chaud, créent autant de lieux explosés dans chaque lieu.